Première séance du mercredi 03 février 2021
- Présidence de M. Hugues Renson
- 1. Respect des principes de la République
- Discussion générale (suite)
- Discussion des articles
- Avant l’article 1er
- Amendements nos 331, 332
- Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure de la commission spéciale pour le chapitre 1er du titre Ier
- Amendement no 2522
- Article 1er
- M. Christophe Euzet
- M. Francis Chouat
- Mme Sonia Krimi
- M. Florent Boudié, rapporteur général de la commission spéciale et rapporteur pour le chapitre Ier du titre II
- M. Julien Ravier
- Mme Laurence Trastour-Isnart
- M. Stéphane Peu
- M. Éric Ciotti
- Mme Laurianne Rossi
- M. Philippe Vigier
- Mme Émilie Chalas
- M. Florent Boudié, rapporteur général de la commission spéciale et rapporteur pour le chapitre Ier du titre II
- Amendements nos 2247, 1093, 2393, 16, 1612, 1805, 363, 483, 619, 362, 482, 618, 985, 2160, 1072, 1073, 2566, 936, 160, , 1117, 703, 161, 1448, 984, 1357, 1206, 851, 1358, 2337, 2248, 1356, 1364, 935, 2610, 162, 333, 1109, 2249, 1367, 2332, 704, 2524, 776, 779, 787, 807, 1220, 79, 1892, 1893, 705, 164, 165, 1450, 1207, 163, 1368, 364, 484, 621, 2540, 1710, 166, 1611, 1384 et 1012
- Suspension et reprise de la séance
- Après l’article 1er
- Avant l’article 1er
- 2. Ordre du jour de la prochaine séance
Présidence de M. Hugues Renson
vice-président
M. le président
La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à quinze heures.)
1. Respect des principes de la République
Suite de la discussion d’un projet de loi
M. le président
L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi confortant le respect des principes de la République (nos 3649 rectifié, 3797).
Discussion générale (suite)
M. le président
Hier soir, l’Assemblée a continué d’entendre les orateurs inscrits dans la discussion générale.
Le temps de parole des députés non inscrits étant limité, j’invite ceux qui vont maintenant s’exprimer à limiter à cinq minutes la durée de leur intervention.
La parole est à M. Nicolas Dupont-Aignan.
M. Nicolas Dupont-Aignan
L’islamisme a déclaré la guerre à la France. Le meilleur hommage que nous puissions rendre aux nombreuses victimes du terrorisme, de l’attentat de Charlie Hebdo à l’égorgement de Samuel Paty, serait d’agir vite et de passer des larmes aux actes. Car, comme le disait Clausewitz, la guerre exclut la modération : « on la gagne ou on la perd ». Nous ne sommes pas opposés seulement aux auteurs des attaques, mais aussi, surtout, à leurs inspirateurs, qui insidieusement propagent un nouveau fascisme religieux gangrenant tous les principes de notre République.
Monsieur le ministre de l’intérieur, à l’annonce de votre projet, qui nommait le mal – le séparatisme islamiste –, j’ai cru enfin à une prise de conscience susceptible d’aboutir à de vraies décisions. Malheureusement, malgré des dispositions de bon sens, bien évidemment – qui d’ailleurs auraient dû être prises depuis vingt ans –, j’ai très vite compris que ce texte n’était pas du tout à la hauteur du défi historique qui nous est lancé. Alors que plus de la moitié des jeunes de confession musulmane estiment que la charia doit s’imposer aux lois de la République, votre président a, une fois de plus, la main qui tremble, votre majorité renâcle, votre gouvernement temporise. Quelle occasion manquée !
Votre projet manque à la fois de force et d’espérance. Il ne donne pas la force d’interdire les financements étrangers des lieux de culte, ni de refuser que des États étrangers deviennent propriétaires de mosquées. Est-il normal que la Turquie de M. Erdogan possède une bonne partie des 350 lieux de culte dont les fidèles ont des attaches en Turquie ? Pourquoi avez-vous refusé d’interdire la vente de tout lieu de culte à des États étrangers ? Comment bâtir un islam de France dans ces conditions ?
Votre texte ne donne pas la force d’expulser les organisations islamistes qui remettent en cause nos principes républicains. C’était le sens de ma proposition de loi visant à pénaliser la prédication subversive et séditieuse. Oserez-vous, monsieur le ministre, dissoudre les trois organisations qui refusent de signer votre charte, laquelle va dans le bon sens ? Ce texte vous en donnera-t-il les moyens ?
Il faudrait aussi avoir la force de cesser de rapatrier des djihadistes et leurs familles de Syrie alors qu’ils se sont exclus de la communauté nationale en nous déclarant la guerre. De même, cessez de faire preuve d’angélisme et de naïveté à l’égard des terroristes occupant nos prisons : ils doivent être isolés plus longtemps et plus loin !
Enfin, ce projet de loi ne donne pas la force d’arrêter la submersion migratoire – selon le mot de votre prédécesseur, Gérard Collomb –, laquelle rend totalement impossible l’assimilation des populations étrangères arrivées ces dernières années dans notre pays. Oui, il faut oser supprimer le droit du sol, et suspendre un temps le regroupement familial, si l’on veut redonner une cohésion à la nation.
Mais croire que l’on pourra contenir l’islamisme par la seule loi, voire par la seule force, reviendrait également à s’abandonner à une illusion. Il faut offrir à notre jeunesse une espérance. Si les prédicateurs ont tant de succès auprès d’une jeunesse déracinée, en quête de repères, c’est bien parce que notre modèle républicain est à bout de souffle. On demande à la jeunesse de s’assimiler, mais à quoi ? À l’exception du culte d’un argent roi, inaccessible, que leur offrons-nous ? La nation a été abandonnée au profit de la bureaucratie et du jeu des lobbies à Bruxelles ; notre démocratie est dévoyée par les oligarchies qui ne défendent que leurs intérêts ; les inégalités de naissance ou de parcours ont explosé ; l’école de la République a remplacé l’apprentissage de notre histoire, de la citoyenneté et de la laïcité par le culte permanent de la repentance. Comment faire barrage à l’islamisme si vous renoncez concrètement à appliquer et respecter nos valeurs ? Comment demander à notre jeunesse de vibrer pour notre devise « liberté, égalité, fraternité » si vous lui ôtez son sens, en faisant dès aujourd’hui, avec ce projet de loi, votre soumission – comme le cauchemardait Michel Houellebecq dans le livre du même nom dont je vous recommande la lecture.
Je conclurai sur l’égalité entre les hommes et les femmes : beaucoup de discours, mais où sont les actes ? Vous avez refusé l’amendement de Mme Bergé, le jugeant irrecevable car sans rapport direct avec le texte. Quelle preuve de soumission, justement ! Dans un texte censé combattre le séparatisme et affirmer les principes de la République, vous renoncez à interdire la preuve la plus éclatante de séparatisme, qui consiste à voiler des fillettes avant qu’elles n’aient appris à lire, à compter, à parler voire, pire, à marcher.
M. le président
Veuillez conclure.
M. Nicolas Dupont-Aignan
De même, vous avez renoncé à exiger la fin du voile pour les mères accompagnant les sorties scolaires.
M. le président
Monsieur Dupont-Aignan, permettez-moi de vous rappeler qu’il y a d’autres orateurs inscrits.
M. Nicolas Dupont-Aignan
Les islamistes avancent parce que nous reculons, parce que vous reculez. Ils manipulent nos valeurs pour en faire un cheval de Troie, dévoient les droits de l’homme et nos libertés pour faire avancer leur projet totalitaire. Nous avons tout pour réussir, à condition de reconstruire notre république, par des actes, et non par des paroles.
M. le président
Je suis obligé de vous interrompre, car vous avez largement dépassé le temps de parole de cinq minutes. Fixée par la Conférence des présidents du 16 mai 2018, cette règle protège les députés non inscrits en évitant qu’un seul d’entre eux puisse utiliser la totalité du temps qui leur est accordé.
La parole est à Mme Marine Le Pen.
Mme Marine Le Pen
Lors de son discours aux Mureaux, le Président de la République a énoncé un constat qui me semblait assez juste, et rejoignait d’ailleurs celui que je fais depuis des décennies. Il semblait avoir enfin compris, comme le dit si bien Jean-Paul Garraud, que le but des islamistes n’est pas tant de se séparer de la République que de s’en emparer. Il déclarait ainsi que nous devons nous attaquer au séparatisme islamiste, « ce projet conscient, théorisé, politico-religieux, qui se concrétise par des écarts répétés avec les valeurs de la République, qui se traduit souvent par la constitution d’une contre-société ». Il continuait en ces termes : « il y a dans cet islamisme radical […] une volonté revendiquée, affichée, une organisation méthodique pour contrevenir aux lois de la République et créer un ordre parallèle, ériger d’autres valeurs, développer une autre organisation de la société, séparatiste dans un premier temps, mais dont le but final est de prendre le contrôle, complet celui-ci ». Or le texte que nous examinons me paraît participer d’une vision bien différente du constat du Président. J’en suis la première désolée.
Nous avions pourtant dit, à l’occasion d’un long entretien avec vous, monsieur le ministre, que nous participerions activement à un tel élan national, indispensable pour lutter contre l’hydre islamiste, laquelle s’infiltre partout. Malheureusement, lorsque j’ai découvert votre projet en décembre dernier, j’ai constaté que je n’avais pas su vous convaincre. Nous sommes bien loin d’un texte visant à lutter contre l’islamisme et, comme d’autres orateurs l’ont dit avant moi, les changements de titre successifs sont la triste illustration de votre reculade politique. Plus problématique, beaucoup de mesures s’appliqueront à tous, alors que les risques qu’elles ont pour objet de prévenir ne concernent que les agissements d’une faible minorité, pour reprendre les mots du Conseil d’État.
De notre côté, nous avons déposé un texte pour lutter précisément et exclusivement contre la minorité qui diffuse et impose les idéologies islamistes. Ce sont en effet leurs défenseurs qui nous ont déclaré la guerre depuis plusieurs décennies. Quand je dis « nous », je ne désigne pas seulement les Français, même si nous sommes une cible privilégiée ; ce « nous » est mondial. Ces idéologies sont à l’offensive partout, y compris dans certains pays musulmans. Elles visent le Moyen-Orient, la bande sahélo-saharienne et bien sûr l’Europe, qui est non seulement touchée par le terrorisme islamiste, mais également victime d’entrisme dans tous les secteurs de la société, dans le but d’en changer fondamentalement la nature.
Ainsi, pour nous attaquer au séparatisme islamiste, il faut tout d’abord désigner l’ennemi. Ne pas le faire est une des grosses lacunes de votre texte. Désigner l’ennemi, c’est prendre conscience de son existence, de son mode de fonctionnement, de ses modes de pensée, de ses armes ainsi que de ses soutiens, actifs et passifs. Cela permet aussi d’éviter tout risque de confusion ; en effet, vous admettrez qu’il y a une incohérence à vouloir lutter contre une idéologie politique en élaborant une loi qui modifie les règles, plus que centenaires, applicables aux religions. Les idéologies islamistes sont totalitaires et hégémoniques. Vous ne parviendrez pas à les vaincre en essayant seulement de les freiner, de les gêner. Sur ce point, je rejoins l’interrogation du Conseil d’État « sur la capacité de la réforme à atteindre tous ses buts ».
Ce défaut, le sociologue Bernard Rougier – que vous avez longuement consulté – le souligne cruellement lorsqu’il explique que ce texte doit permettre de concurrencer l’islamisme à défaut de l’éliminer. Car concurrencer l’islamisme, ce n’est pas suffisant, monsieur le ministre ! La proposition de loi que j’ai déposée – et j’invite à la cosigner tous ceux qui veulent isoler le problème de l’islamisme radical – ne se contente pas, elle, de vouloir gêner les islamistes en appliquant des dispositions technocratiques telles que des contrôles renforcés ou de nouvelles contraintes. Les mesures que je propose sont éminemment politiques. Elles sont destinées à empêcher partout la diffusion, les manifestations et la pratique d’idéologies qu’une minorité cherche à imposer dans le but de régir l’intégralité des existences individuelles et de la vie sociale et de guider tous les actes de la vie civile et politique.
L’islamisme a réussi, malgré nos mises en garde, à s’immiscer partout, notamment à cause de la faiblesse, de la lâcheté et parfois même de la compromission de nos dirigeants. Ce projet de loi est une occasion loupée – je m’en attriste. Or, dans la guerre contre les islamistes, chaque minute compte : eux continuent méthodiquement d’avancer leurs pions. Il y va de la vie de nos enfants, de notre survie en tant que civilisation, de la paix dans le monde. Alors j’invite tous ceux qui ne veulent plus voir nos valeurs bafouées, nos libertés reculer, notre modèle social remplacé et l’unité de notre nation menacée à se rassembler pour éradiquer ce nouveau totalitarisme. (Applaudissements parmi les députés non inscrits.)
M. le président
La parole est à Mme Marie-France Lorho.
Mme Marie-France Lorho
Encore une fois, le temps législatif programmé prive ce sujet du débat qu’il mérite. Se pose donc tout d’abord un problème de méthode, et ensuite, un problème de courage : le courage de nommer l’islamisme, que ce texte devrait avoir pour objet de combattre. Pourtant, plutôt que de le faire, il s’attaque à nombre de libertés fondamentales : certaines activités, certains acteurs seront soumis à un contrôle accru de l’État, contrôle qui s’appliquera à tous, alors que les risques qu’il a pour objet de prévenir ne concernent que les agissements d’une faible minorité, pour reprendre les mots du Conseil d’État.
Ce texte participe d’une politique globale de lutte contre l’islamisme qui s’avère défaillante. La charte des principes pour l’Islam de France aura-t-elle un impact véritable ? En effet, le principe même de ce type de charte n’est pas nouveau : des propositions, émanant des musulmans eux-mêmes ou des pouvoirs publics, ont déjà été adoptées sans empêcher pour autant la situation que nous connaissons aujourd’hui. Plus que des menaces de contrôle, de réelles mesures vont-elles être prises contre les fédérations qui ont refusé de signer ? Ou cette charte ne restera-t-elle qu’un effet d’annonce ?
D’autre part, ce texte est complété par un décret autorisant le fichage des personnes en fonction de leurs convictions religieuses et politiques, et non plus seulement en fonction de leur action. Il est plus que temps de cesser d’être fort avec les faibles, et faible avec les forts. La République se voilait la face ; elle se voile désormais la tête.
L’islamisme aura finalement triomphé, en nous forçant à changer nos modes de vie, à adapter notre droit et nos services publics, à renoncer à certaines libertés, comme l’instruction en famille, auxquelles les Français sont pourtant très attachés. La liberté de religion, la liberté d’association, la liberté d’expression, le droit éducatif des parents sont autant de droits et libertés qui vont être restreints. Aujourd’hui, par peur de l’islamisme, la critique se dissipe, les dessins s’effacent, les propos s’adoucissent, les symboles disparaissent. Les valeurs républicaines, dont on ignore toujours la définition précise, suscitent un tel enthousiasme qu’il vous faut les faire aimer à coup de sanctions, d’engagements et de contraintes.
Notre idéal doit être la France. La République est un cadre que vous êtes en train de transformer en cage. Notre civilisation ne s’est pas bâtie sur les principes de la République mais elle est le fruit d’un roman national qu’il est de votre responsabilité de faire partager par le plus grand nombre.
Ce texte se calque sur la politique de moralisation permanente du Gouvernement, qui se ferme au pluralisme. Il marque un tournant dans notre conception de la séparation des Églises et de l’État. Comment cette séparation peut-elle aujourd’hui perdurer alors que, selon les mots de l’historien spécialiste des religions Philippe Portier, la laïcité « se voit transformée en instrument de contrôle des conduites et des croyances religieuses », lesquelles devraient pourtant pouvoir s’exprimer et se pratiquer librement en vertu du principe de laïcité ?
L’État s’élève au-dessus des convictions personnelles pour les encadrer, ce qui témoigne d’une dérive inquiétante. Même le secteur du sport, qui est l’une des sphères les plus préservées et l’un des rares endroits pour se retrouver, quelle que soit sa religion ou son origine, autour d’une passion commune, se voit empêtré dans des procédures d’agrément et de contrat d’engagement républicain parce que l’État a failli à préserver son intégrité en amont.
Les ingérences de l’État se multiplient au sein de la famille, dans le sport et au sein des associations. Dans le même temps, il délaisse des problématiques qui entrent pourtant dans son champ de compétences. Comment accorder une once de crédibilité à un texte qui veut lutter contre le séparatisme mais n’aborde pas une seule fois le problème de l’immigration ? Il a pourtant été démontré à maintes reprises que les deux problématiques étaient liées.
La culpabilisation permanente, le déracinement, le communautarisme, l’absence de véritables repères sont autant de terreaux de l’islamisme qui ne sont pas davantage cités dans le texte. Ce projet de loi commet l’erreur de ne pas faire de distinction entre les religions au nom du principe de laïcité : celui-ci devrait pourtant être adapté car les différences fondamentales entre les religions justifient qu’elles ne soient pas traitées de la même façon.
En effet, les principes républicains derrière lesquels vous vous abritez n’interdisent aucunement que soient adoptés des moyens différents pour traiter des situations différentes. Ce texte refuse, par principe, de distinguer entre l’islamisme et les autres religions, entraînant une punition collective pour les méfaits de quelques-uns. Est-ce conforme aux valeurs de la République ?
Les religions ne sont pas les ennemies de la République. Seul l’islamisme l’est. Je le redis : le courage vous manque pour le reconnaître. Non, décidément, le compte n’y est pas. Ce texte, comme beaucoup d’autres, donnera un vernis positif à votre bilan, mais il ne fera rien d’autre aussi longtemps que vous chérirez les causes dont vous déplorez les effets. (MM. Bruno Bilde, Xavier Breton et Nicolas Dupont-Aignan applaudissent.)
M. le président
La parole est à M. Nicolas Meizonnet.
M. Nicolas Meizonnet
Une idéologie radicale nous a déclaré la guerre. Et ce sera elle ou nous. Cette idéologie porte un nom : l’islamisme. Elle a un projet : imposer la charia. Elle a un moyen pour y parvenir : non pas le séparatisme, mais la conquête, qui implique notre soumission.
Cette idéologie a plusieurs modes d’action. Pour tuer, elle frappe en tous lieux : salles de spectacles, rues, terrasses de cafés, églises, préfectures, écoles… on compte déjà plus de 250 victimes sur notre sol. Pour se propager, elle s’infiltre par tous les pores : dans de nombreuses mosquées, comme ce fut le cas à Lunel, à quinze minutes de chez moi ; dans certaines écoles islamiques, comme à Marseille ; dans des associations ou clubs sportifs, comme à Savigny-le-Temple, où les juifs et les femmes sont rejetés ; ou encore plus simplement sur internet.
Cette idéologie a bien sûr des complices actifs et passifs. À l’étranger, il s’agit d’États comme la Turquie d’Erdogan, d’organisations comme celle des Frères musulmans, de groupes armés comme Daech. En France, ce sont tous ceux qui ferment les yeux, qui s’accommodent : élus, acteurs institutionnels, dont les petites lâchetés du quotidien font la part belle à l’islamisme.
C’est le cas, par exemple, de tous ceux, dont certains sur ces bancs, qui refusent d’interdire le port du voile pour les jeunes filles, de tous ceux qui soutiennent que le port du voile n’est rien d’autre qu’une liberté dont disposent les femmes. De telles compromissions, faites par naïveté – ou fausse naïveté –, ou parfois par clientélisme, sont criminelles.
Je pense à ces élus de gauche qui inaugurent la grande mosquée de Toulouse aux côtés de l’imam algérien Tataï, dont les prêches sont réputés violents et antisémites ; à l’extrême gauche et à ses discours indigénistes ; à certains parlementaires qui n’hésitent pas à déclarer que les jeunes femmes qui portent le voile, c’est la France ; à la Défenseure des droits, qui défend le burkini ; aux étudiants de Sciences Po qui portent le voile pour le Hidjab Day en oubliant que, dans certains pays, des femmes risquent leur vie pour s’en libérer… Tous complices, tous responsables !
Chers collègues, l’heure est grave : cette lâcheté laisse dangereusement progresser l’islamisme. Pas moins de 27 % des musulmans de France considèrent que la charia doit primer sur les lois de la République, et 74 % des musulmans de moins de 25 ans partagent cette effrayante vision de la société. Le pire est donc à craindre. Cette jeune génération radicalisée fait déjà parler d’elle et contribue largement à l’explosion de l’insécurité : il est désormais établi que les voies qui relient le monde de la délinquance du quotidien à celle du djihad sous toutes ses formes sont plurielles et s’entrelacent.
En réalité, l’islamisme est en train de triompher sur nos valeurs. Nous cédons sur la liberté, en vivant dans l’insécurité physique et culturelle, en renonçant progressivement à notre liberté d’expression, en subissant les contraintes imposées à tous alors qu’elles ne devraient s’appliquer qu’aux porteurs de cette idéologie mortifère. Nous cédons aussi sur l’égalité, en tolérant la banalisation du voile islamique, en acceptant des horaires différenciés dans les piscines, en laissant ouverts des bars interdits aux femmes, comme à Sevran. Enfin, nous cédons sur la fraternité en laissant prospérer un communautarisme qui brise l’unité de la nation.
Nous avons déjà tant cédé. Pendant que le fondamentalisme avance, nos libertés, valeurs et modes de vie reculent. Mes chers collègues, l’islamisme nous pose un ultimatum : soit nous parvenons à le vaincre au plus vite, soit il finira par nous soumettre, selon un scénario à la Houellebecq qui, je le crains, pourrait nous entraîner dans une guerre civile.
Vous voulez nous faire croire que vous déclarez enfin la guerre à ce totalitarisme, mais qui peut croire qu’un contrat d’engagement républicain suffira à neutraliser les soldats de Daech ? Monsieur le ministre de l’intérieur, comment prétendre lutter contre l’islamisme alors qu’au sein même de votre projet, vous refusez de nommer et de pénaliser cette idéologie haineuse ?
De même, vous refusez de stopper le rapatriement des djihadistes. Vous refusez d’expulser la totalité des étrangers radicalisés. Vous refusez de fermer des centaines de mosquées radicales qui prêchent la haine. Vous refusez d’interdire le port du voile islamique, même pour les jeunes filles. Vous refusez de traiter l’origine du mal en mettant fin à la submersion migratoire et en imposant un vrai modèle d’assimilation. Bref, vous refusez de combattre l’islamisme.
Le Rassemblement national propose, lui, un vrai contre-projet, dont Marine Le Pen vient de livrer les grandes lignes. Libre à vous de vous en saisir, monsieur le ministre. Je crains – hélas pour les Français – que vous n’en ayez ni le courage, ni la volonté : vivement 2022 ! (M. Bruno Bilde applaudit.)
M. le président
La parole est à Mme Emmanuelle Ménard.
Mme Emmanuelle Ménard
L’objectif affiché de ce projet de loi est de permettre une lutte plus efficace contre l’islamisme, terreau du terrorisme djihadiste selon le Gouvernement. Un texte fort, un texte qui fera date, avez-vous d’ailleurs déclaré, monsieur le ministre de l’intérieur, à l’issue de nos débats en commission.
Le texte, inspiré par le discours prononcé par Emmanuel Macron aux Mureaux, début octobre, part de bonnes intentions et de bons sentiments. Il aborde la question de la neutralité du service public ; prévoit un contrôle renforcé des associations – lesquelles seraient obligées de signer un contrat d’engagement républicain dont nul ne connaissait pourtant le contenu il y a encore quelques jours ; tente de faire revenir par la fenêtre certaines des dispositions de la loi, dite Avia, visant à lutter contre les contenus haineux sur internet, que le Conseil constitutionnel avait pourtant chassées par la grande porte ; remet en cause, avec l’instruction à la maison, une liberté fondamentale, celle des parents de choisir le mode d’instruction de leurs enfants ; tente d’opérer un plus grand contrôle des cultes, bouleversant ainsi le fragile équilibre trouvé avec les lois de 1905 et de 1907 ; ou encore cherche à lutter contre les certificats de virginité, la polygamie et les mariages forcés.
Mais on ne fait pas la guerre avec de bons sentiments, et encore moins quand il s’agit de la guerre contre les islamistes. Ce n’est pas avec la peur au ventre qu’on mène de telles batailles. Or la première de vos trouilles, c’est celle de nommer votre ennemi, notre ennemi, l’ennemi de la France : ces islamistes qui veulent nous imposer leur façon de vivre, leur manière de voir. Nous les voyons chaque jour empiéter sur les règles de vie, dans les rues, à l’école, dans les entreprises ou dans les enceintes sportives.
Cette peur transpire dès le titre du projet de loi « confortant le respect des principes de la République ». N’osant cibler personne en particulier, il vise tout le monde en général, y compris ceux qui respectent les règles de vie communes et les lois, et qui vivent ce nouveau texte comme une gifle, une véritable punition, presque une injure.
Disons-le en effet sans faux-fuyants, ce qui menace notre société, notre façon de vivre, notre civilisation, porte un nom : l’islamisme. C’est lui, et lui seul, qui veut faire des femmes des citoyennes au rabais, les obligeant notamment à porter un voile. La grande réussite des islamistes est d’avoir fait croire que, pour reprendre les mots de Chantal de Rudder, ex-rédactrice en chef du Nouvel Observateur, peu sujette à caution selon les canons du prêt-à-penser, le port du voile n’est autre qu’une « obligation morale pour affirmer sa visibilité anti-occidentale ». C’est pourquoi il est surréaliste que vous refusiez de débattre de cette question.
C’est l’islamisme, et lui seul, qui rêve d’imposer sa loi à l’ensemble des habitants de notre pays et exige toujours plus de dérogations aux règles qui régissent notre façon de vivre. C’est aussi en son nom, faut-il le rappeler, que depuis plusieurs années, des centaines d’hommes et de femmes ont été blessés, mutilés, marqués à vie, tués. Les assassins se réclament de lui et de personne d’autre.
Lutter contre l’islamisme – j’ai d’ailleurs déposé la semaine dernière une proposition de loi dans ce but –, c’est aussi être aux côtés des musulmans soucieux, eux, de respecter scrupuleusement les lois, à l’heure même où, comme je l’ai rappelé à plusieurs reprises en commission, 74 % des Français musulmans de moins de 25 ans affirment mettre l’islam devant la République, et où, pour 57 % d’entre eux, la charia est plus importante que la République. Quelle faillite !
M. Jean-Luc Mélenchon
Ce n’est pas vrai !
Mme Emmanuelle Ménard
Je ne peux pas conclure cette intervention sans rappeler une vérité, n’en déplaise à beaucoup d’entre vous : notre pays appartient à la civilisation chrétienne.
M. Jean-Luc Mélenchon
Ah !
Mme Emmanuelle Ménard
La France est en effet pétrie d’une culture judéo-chrétienne ; son espace, ses paysages, ses monuments, ses musées, sa littérature sont intimement liés à la civilisation judéo-chrétienne. (Mme Marie-France Lorho et M. Bruno Bilde applaudissent.)
M. Éric Coquerel
C’est votre histoire personnelle, pas celle du pays !
Mme Emmanuelle Ménard
À ce titre, il ne saurait être question de mettre sur le même plan les différentes confessions pratiquées sur notre territoire. Oui, il y a un droit d’antériorité ! Personne d’ailleurs ne le conteste lorsqu’il s’agit des pays du Maghreb ou du Proche-Orient. Pourquoi ne le proclamerions-nous pas lorsqu’il s’agit de la France ?
C’est votre bien-pensance qui vous fait rater la cible. Par crainte d’être taxés d’islamophobie, vous ne nommez personne. Le mot « islamisme » n’est pas utilisé une seule fois ; il fallait oser, vous avez osé ! C’est une honte pour la mémoire de ceux qui ont été égorgés, décapités, assassinés au cours des dernières années en France. Égorgés, décapités, assassinés. Par qui ? Par des islamistes. (M. Bruno Bilde et Mme Marie-France Lorho applaudissent.)
M. le président
La discussion générale est close.
La parole est à M. le ministre de l’intérieur.
M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur
Je souhaite effectivement réagir à l’issue de cette longue discussion générale, étalée sur trois jours et un peu morcelée, il est vrai, pour ceux qui nous suivent. D’abord, il est toujours poli de répondre aux députés qui ont exprimé leur point de vue, même si je ne répondrai évidemment pas en détail à chacun d’entre vous. Ensuite, une partie d’entre vous, notamment ceux qui viennent de s’exprimer, ne pourront pas nécessairement prendre la parole lors de la discussion des articles, du fait du temps législatif programmé.
M. Fabien Di Filippo
Eh oui !
M. Gérald Darmanin, ministre
Il est donc normal que je leur réponde.
Les interventions ont été de trois types. Il y a d’abord ceux qui soutiennent le texte – je les en remercie –, parfois avec des bémols. Je tiens à dire à quel point le Gouvernement est ouvert, comme il l’a été en commission, à la discussion parlementaire, ainsi qu’aux amendements et propositions, d’où qu’ils viennent. Monsieur le président de la commission spéciale, monsieur le rapporteur général, 196 amendements ont été adoptés par la commission. Comme vous pouvez l’imaginer, le Gouvernement restera très ouvert aux propositions.
Il y a ensuite, notamment du côté gauche de l’hémicycle, ceux qui, tout en reconnaissant l’existence du problème, considèrent que le texte va trop loin ou n’apporte pas les solutions adaptées. Je regrette que tel soit leur point de vue. Nous aurons peut-être l’occasion de les convaincre, à la faveur d’un débat républicain, démocratique et laïque – nous sommes tous attachés, je le sais, à la tenue d’un tel débat –, qu’il s’agit d’un texte nécessaire et qui ne se substitue pas à d’autres textes qui pourraient être examinés ultérieurement, relatifs à l’égalité des chances, à l’urbanisme, au logement, à l’emploi, à l’économie.
J’ai été maire et reste élu d’un territoire qui connaît des difficultés sociales. Sans jamais avoir souscrit à 100 % aux explications bourdieusiennes, je n’ignore pas qu’il existe évidemment un lien – on peut tout à fait entendre ce point de vue – entre ce dont nous parlons et le lumpenprolétariat, la prolétarisation notamment – mais pas seulement, car la question sociale joue aussi un rôle très fort dans les conversions – d’une partie de l’immigration. C’est toute la question de la promesse républicaine ; la République sera laïque parce que sociale, ou sociale parce que laïque – chacun a évoqué à sa façon la belle phrase de Jaurès que je fais évidemment mienne, comme, je crois, tout républicain.
Enfin, il y a ceux qui pensent que le texte ne va pas assez loin. Je regrette que Mme Le Pen ne soit plus présente dans l’hémicycle ; je suppose qu’elle n’est pas venue seulement pour intervenir dans la discussion générale (Sourires sur quelques bancs du groupe LaREM) et qu’elle aura de nouveau l’occasion de participer au débat. Et je regrette les propos qui ont pu être tenus.
Ces propos sont de deux types. Il y a, d’une part, ceux qui ont été tenus par une partie du groupe LR. Ayant eu à gérer les conséquences des inondations en Corrèze, je n’étais pas présent pour entendre l’intervention de M. Diard – je m’en suis excusé auprès de lui. Je l’ai néanmoins suivie et l’ai trouvée beaucoup plus modérée que celle de M. Ciotti. Je ne déprécie pas les arguments de ce dernier, qui sont forts, que je respecte et dont nous pourrons discuter. Nonobstant des différences importantes entre nous – nous ne les avons d’ailleurs pas ignorées en commission spéciale –, nous pouvons faire un certain nombre de choses ensemble.
Il y a, d’autre part, les interventions des députés non inscrits, qui appartiennent, si je puis me permettre ce raccourci, à l’extrême droite. Le dire n’est d’ailleurs pas une insulte ; il y a une représentation nationale, et nous devons écouter leurs arguments et essayer d’y répondre point par point.
Plusieurs groupes ont rédigé leur propre proposition de loi – c’est un travail notable – pour indiquer ce que l’on aurait dû faire selon eux. Vous avez été nombreux à citer l’avis du Conseil d’État de manière très précise, notamment pour attaquer le Gouvernement, ce qui est, somme toute, normal. Puisque vous disposez de l’étude d’impact fournie par le Gouvernement, et pour que nous nous battions à armes égales, je vous invite à demander au président de l’Assemblée nationale de saisir le Conseil d’État de vos propositions de loi. Vous avez tout à fait le droit de le faire, et nous serions très intéressés de connaître son avis. Cela montrerait l’esprit de gouvernement qui anime chacune et chacun ici. Car, bien sûr, personne ne songerait à faire de la démagogie sur un thème aussi essentiel,…
M. Fabien Di Filippo
Surtout pas vous !
M. Gérald Darmanin, ministre
…personne n’en viendrait à proposer des dispositions absolument contraires aux droits fondamentaux de la République !
Selon l’un des articles de la proposition de loi du « groupe Front national » – je me permets de désigner ainsi un ensemble de députés non inscrits, qui représentent une force politique de notre pays –, toute personne morale qui nie un génocide ou une extermination s’étant produite au cours de l’histoire devrait être dissoute. Si cet article était appliqué, j’ai eu l’occasion de le dire à Mme Le Pen par médias interposés, le Front national aurait quelques problèmes d’existence, compte tenu des interventions du président Le Pen ! (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et Dem.) Néanmoins, il est assez heureux que nous puissions continuer à discuter avec un parti politique qui recueille un grand nombre de suffrages des Français.
Quand je lis le point suivant dans la proposition de loi du groupe Front national… (M. Bruno Bilde proteste.)
Ne vous énervez pas, monsieur Bilde, d’autant que c’est très mauvais quand on porte un masque. Restons calmes.
Messieurs Bilde et Meizonnet, vous nous reprochez de ne pas fermer des centaines de mosquées que vous dites radicales. C’est un point très intéressant. D’abord, nous proposons un texte de loi qui permettra précisément de fermer des lieux de culte radicalisés, indépendamment de la question du terrorisme. Ensuite, il faudrait que vous soyez cohérents avec vos votes précédents : vous n’avez pas voté la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, dite loi SILT ; au moment où la représentation nationale était appelée à se prononcer, vous n’avez pas donné au Gouvernement les moyens de fermer des lieux de culte radicalisés.
M. Jean-Michel Fauvergue
C’est vrai !
M. Gérald Darmanin, ministre
À l’instar des médecins décrits par Molière, vous évoquez à la tribune de nombreux remèdes, mais, lorsqu’il est question de les prescrire, vous dites que ce n’est pas possible car ce serait liberticide. Vous nous avez fait le coup en commission, où Mme Le Pen s’est révélée la plus grande protectrice de la liberté d’association ; elle fait exactement le contraire de ce qu’elle dit vouloir faire. En réalité, vous vivez des problèmes et ne souhaitez pas les résoudre. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.) Soyez donc cohérents ! J’imagine que vous transmettrez mes propos à Mme Le Pen ; je souhaite que nous débattions argument contre argument.
M. Fabien Di Filippo
La dialectique du ministre est usée…
M. Gérald Darmanin, ministre
Nous pourrions discuter d’autres dispositions de cette proposition de loi. Certains ont rappelé que M. Briand avait été rapporteur d’une commission présidée par M. Buisson – je ne ferais pas de parallèle avec la situation présente, même s’il serait flatteur, monsieur le président de la commission spéciale, mesdames et messieurs les rapporteurs – et que celle-ci avait étudié toutes les propositions émanant des députés. Si nous le faisions, nous découvririons qu’il y a, dans la proposition de loi du Front national, une disposition relative à la destruction de certaines œuvres.
Mesdames et messieurs les députés non inscrits, vous parlez de l’islamisme, mais ne le définissez jamais. Vous proposez d’expulser des individus sur le fondement d’une définition que vous n’énoncez même pas ! Point très important, vous évoquez des dispositions législatives sans jamais en tirer de conclusions de nature pénale, ni prévoir de recours. Au demeurant, vous êtes dans un monde de construction pour la présidentielle ; vous restez assez fidèles au débat de l’entre-deux-tours, à l’occasion duquel nous avons pu constater la compétence manifeste de votre présidente. En ce moment, les propositions du Front national relèvent moins du grand méchant loup que du grand méchant flou ! (Rires et applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.)
Le beau vers d’Aragon « Fou qui fait le délicat », cité hier par le président Chassaigne et d’autres députés communistes, caractérise tout à fait la position du groupe LR et, à un moindre degré, celle de M. Lagarde. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes LaREM et Dem. – M. Xavier Breton proteste.)
Dans les difficultés que nous connaissons liées à l’islamisme, chacun a une part de responsabilité. Il serait particulier de considérer que cette responsabilité ne joue que pour les dernières semaines, les derniers mois ou les dernières années.
BarakaCity, que ce gouvernement dissout,…
M. Yves Hemedinger
Vous êtes là pour agir !
M. Gérald Darmanin, ministre
…a été créé au début des années 2000. Le Collectif contre l’islamophobie en France – CCIF –, que ce gouvernement dissout, a été formé au début des années 2000. Le collectif Cheikh Yassine, que ce gouvernement dissout, a été fondé au milieu des années 1990. Les psalmodieurs radicalisés des lieux de culte que nous fermons en ce moment sont venus en France au début des années 2000.
Au début des années 2000, c’est vrai, on ne connaissait pas la profondeur de ce mal, et beaucoup de choses ont changé à l’échelle internationale depuis lors. Les premiers attentats islamistes ont été commis sous des quinquennats et des gouvernements de couleurs politiques différentes. M. Ciotti l’a dit lorsqu’il a rendu hommage à l’école juive de Toulouse – il n’y a évidemment pas de hiérarchie dans l’horreur, mais il est particulièrement atroce que l’on ait pu s’en prendre, au nom de l’islamisme, à des enfants dans une cour d’école, parce que juifs. Gardons-nous de tout anachronisme, mais soyons conscients que la responsabilité politique ne porte pas seulement sur les dernières semaines ou les derniers mois.
Mesdames et messieurs les députés du groupe LR, vous dites en substance que ce texte n’est pas mal, qu’il est un peu techno, qu’il est courageux mais devrait l’être plus encore, que vous avez quelques divergences. Or on ne rejette pas un grand texte de la République au motif qu’il manque un peu de sel ou de poivre ! Et le faire parce que l’on approche d’une primaire et d’une présidentielle, c’est ne pas être à la hauteur des événements. Je suis sûr que le débat parlementaire sera à la hauteur des enjeux.
En commission spéciale, le groupe LR a voté, un à un, l’intégralité des articles du projet de loi.
M. Julien Ravier
C’est faux !
M. Gérald Darmanin, ministre
Je m’étonne un peu de la différence qui existe – sans doute les nombreuses heures de débat que nous aurons la révéleront-elles encore – entre la publicité que certains font autour de l’hémicycle et le travail sérieux que nous menons, argument contre argument. À quelques exceptions près, notamment pour des motifs d’inspiration religieuse – à cet égard, je souligne la constance de M. Breton, qui a toujours pris soin de démarquer son vote de celui du groupe LR –, vous n’êtes pas loin de pouvoir voter, en fin de compte, tous les articles du texte.
Comment peut-on rejeter in fine un texte alors que l’on a voté chacun de ses articles ?
M. Julien Ravier
Nous n’avons pas voté tous les articles !
M. Gérald Darmanin, ministre
Comment peut-on contester l’addition lorsque l’on a aimé l’intégralité des plats servis ? Comment peut-on expliquer que l’on peut faire toujours plus lorsque l’on se présente comme un parti de gouvernement ? Ce n’est pas possible. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes LaREM et Dem.)
M. Fabien Di Filippo
Quel mytho !
M. Gérald Darmanin, ministre
Pour ma part, je souhaite que nous ayons un débat équilibré et que ce texte soit un de ceux qui font honneur au débat parlementaire, ainsi qu’aux amendements proposés par l’ensemble des groupes politiques.
Enfin, je le dis dans une volonté d’apaisement, les mots que nous avons entendus de la bouche de certains intervenants au cours de la discussion générale ont été particulièrement blessants non seulement pour les membres du Gouvernement présents, mais aussi pour de nombreux députés, notamment de la majorité. Alors que les agents protègent au quotidien la population avec courage, il n’est pas possible de mentir à la tribune de l’Assemblée.
Je l’ai dit à M. Ciotti à plusieurs reprises et je le répète, affirmer que Mila n’est pas protégée par la République relève du scandale absolu. Des policiers et des gendarmes risquent leur vie chaque jour pour protéger cette jeune fille, et c’est l’honneur de la République. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, Dem et Agir ens.)
S’approprier Zineb El Rhazoui, dont je tiens à mon tour à souligner le courage (Applaudissements sur quelques bancs des groupes LaREM, Dem et Agir ens), et affirmer à la tribune de l’Assemblée que ce gouvernement n’assure pas sa protection, alors que des policiers risquent chaque jour leur vie pour protéger cette dame, c’est scandaleux à l’égard des policiers de notre pays. (Mêmes mouvements.)
Nous pouvons avoir des différences. On peut avoir envie de changer la Constitution. On peut vouloir modifier le principe de laïcité. On peut aimer les cultes après ne pas les avoir aimés. On peut considérer qu’il faut, d’une règle particulière, faire une règle générale. On peut juger qu’il convient d’interdire ou d’autoriser le port de vêtements religieux dans l’espace public. On peut considérer que chacun des articles a vocation à être amendé – nous avons d’ailleurs des discussions franches et fortes, ce qui est tout à l’honneur de l’Assemblée nationale. Simplement, sur un sujet aussi important, pour le bien du pays, évitons la politique politicienne et évitons de mentir. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, Dem et Agir ens.)
Rappels au règlement
M. le président
La parole est à M. Sébastien Chenu, pour un rappel au règlement.
M. Gérald Darmanin, ministre
Vous pourriez laisser Mme Le Pen le faire !
M. le président
Sur quel fondement le formulez-vous, mon cher collègue ?
M. Sébastien Chenu
Sur celui de deux articles du règlement, monsieur le président, tout d’abord l’article 58. Vous avez mis en cause, monsieur le ministre, un parti qui n’existe plus, le Front national (Rires sur les bancs du groupe LaREM), et celui-ci n’a jamais été condamné pour les propos que vous avez évoqués. Pour ma part, je ne me serais jamais permis de faire l’amalgame entre votre personne et les propos homophobes tenus par M. Christian Vanneste, député dont vous avez été le collaborateur. En effet, j’ai bien conscience qu’il y a une vraie différence entre ces propos, pour lesquels M. Vanneste a été condamné, et ce que vous pensez probablement.
Mon rappel s’appuie ensuite sur l’article 55 du règlement, relatif au temps législatif programme. En raison de la décision prise par votre gouvernement, monsieur le ministre, il reste aux députés non inscrits 4 minutes et 37 secondes – et probablement moins encore du fait de ma présente intervention – pour défendre leurs amendements et participer à ce débat, qui n’en est pas un. Sachant qu’il nous reste quatre malheureuses minutes pour toute la suite du débat et pour vous répondre, vous pourriez au moins avoir la pudeur de ne pas mettre en cause Mme Le Pen en faisant de tels amalgames, qui plus est en son absence. (Protestations sur les bancs des groupes LaREM et Dem.) Ce n’est pas acceptable ; vous n’avez aucune considération pour les députés non inscrits alors qu’ils représentent des millions d’électeurs. (Applaudissements parmi les députés non inscrits.)
M. le président
Puisque vous connaissez le règlement et veillez scrupuleusement à son respect, monsieur Chenu, je vous précise que le temps pris pour formuler un rappel règlement n’est pas décompté du temps attribué à un groupe ou aux députés non inscrits.
M. Mounir Mahjoubi
Eh oui !
M. le président
La parole est à M. Julien Ravier, pour un rappel au règlement.
M. Julien Ravier
Sur le fondement de l’article 98 du règlement, je veux revenir sur les propos de M. le ministre de l’intérieur selon lesquels le groupe LR aurait voté, lors de l’examen du texte en commission spéciale, la totalité des articles du projet de loi. Je m’inscris en faux : pour avoir suivi l’intégralité des débats, je sais que notre groupe s’est abstenu sur de nombreux articles et, en définitive, s’est prononcé contre le texte. Monsieur le ministre, nous attendons de vous la même sincérité que celle que vous exigez de la part de M. Ciotti quand vous l’accusez de mensonge concernant la protection de Mila.
M. Fabien Di Filippo
Très bien !
M. le président
Monsieur Ravier, je veux bien admettre, pour cette fois, qu’il s’agissait d’un véritable rappel au règlement, bien que je ne voie pas où se trouve l’atteinte portée à celui-ci,…
M. Fabien Di Filippo
Si ! Nous avons été profondément blessés !
M. le président
…votre intervention s’apparentant plutôt à une précision relative aux propos du ministre. Mais je rappelle qu’en application du temps législatif programmé, les rappels au règlement manifestement dénués de fondement sont décomptés du temps de parole du groupe auquel appartient l’orateur. Je vous invite à vous en souvenir pour la prochaine fois.
Discussion des articles
M. le président
J’appelle maintenant, dans le texte de la commission, les articles du projet de loi.
Je rappelle que ces 53 articles font l’objet de 2 200 amendements.
Avant l’article 1er
M. le président
Je suis saisi de plusieurs amendements portant article additionnel avant l’article 1er.
La parole est à Mme Emmanuelle Ménard, pour soutenir les amendements nos 331 et 332, qui peuvent faire l’objet d’une présentation groupée.
Mme Emmanuelle Ménard
Le problème, c’est le séparatisme islamiste, ce « projet conscient, théorisé, politico-religieux, qui se concrétise par des écarts répétés avec les valeurs de la République, qui se traduit souvent par la constitution d’une contre-société ». On aura reconnu les propos tenus par le Président de la République lors de son discours aux Mureaux.
Mais après que vous avez regardé en face le problème concret que pose l’islamisme, on se demande où est passée votre lucidité. Elle ne se révèle ni dans le texte du projet de loi – y compris dans l’intitulé du titre Ier, objet de ces amendements –, ni dans l’exposé des motifs, dans lequel l’islamisme n’est même pas évoqué.
Vous vous cachez derrière des grands mots tels que « laïcité », « neutralité du service public » ou « contrat d’engagement républicain ». Tout cela est très bien. Mais, par manque de courage et de lucidité, vous châtiez les Français comme s’ils étaient tous des islamistes. Ainsi, l’instruction à domicile serait soumise à autorisation alors que seuls 2 % des enfants concernés posent des problèmes.
Par peur d’être confrontés à la réalité, vous préférez vous voiler la face. Certes, vous y mettez les formes, invoquant l’interdiction des cavaliers législatifs pour éviter les vrais sujets. Les amendements sur le port du voile par les femmes ou les fillettes, la nourriture halal, les horaires alternés dans les piscines, le burkini, l’aide médicale d’État – AME –, la nationalité française, l’immigration ou la mise en place de cellules municipales d’échanges sur la radicalisation n’ont-ils vraiment aucun lien avec ce texte ? Je ne le crois pas.
À force de renoncements, vous laissez la France désarmée face au séparatisme islamique. C’est dommage. (Applaudissements parmi les députés non inscrits.)
M. le président
La parole est à Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure de la commission spéciale pour le chapitre 1er du titre Ier, pour donner l’avis de la commission.
Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure de la commission spéciale pour le chapitre 1er du titre Ier
Madame la députée, pourquoi mettre en avant tel principe de la République plutôt que tel autre ? Les principes de neutralité et d’égalité sont tout aussi importants que celui de laïcité, mentionné à de nombreuses reprises dans le texte.
Concernant le second amendement, permettez-moi de préférer la rédaction, un peu moins lourde, que je proposerai dans l’amendement suivant.
Avis défavorable.
M. le président
Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre
Même avis.
(Les amendements nos 331 et 332, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.)
M. le président
La parole est à Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure, pour soutenir l’amendement no 2522.
Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure
Il vise à compléter la fin de l’intitulé du titre Ier en insérant, après les mots « les exigences minimales de la vie », les mots « en société », de façon à reprendre la formule exacte employée par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 7 octobre 2010, que je souhaite lire ici en raison de son importance pour nos débats.
Dans son considérant n° 4, le Conseil indique en effet « que les articles 1er et 2 de la loi déférée ont pour objet de répondre à l’apparition de pratiques, jusqu’alors exceptionnelles, consistant à dissimuler son visage dans l’espace public ; que le législateur a estimé que de telles pratiques peuvent constituer un danger pour la sécurité publique et méconnaissent les exigences minimales de la vie en société ; qu’il a également estimé que les femmes dissimulant leur visage, volontairement ou non, se trouvent placées dans une situation d’exclusion et d’infériorité manifestement incompatible avec les principes constitutionnels de liberté et d’égalité ; qu’en adoptant les dispositions déférées, le législateur a ainsi complété et généralisé des règles jusque-là réservées à des situations ponctuelles à des fins de protection de l’ordre public ».
M. le président
Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre
Avis favorable.
(L’amendement no 2522
Article 1er
M. le président
Plusieurs orateurs sont inscrits sur l’article 1er.
La parole est à M. Christophe Euzet.
M. Christophe Euzet
Je ferai une rapide digression. On fait souvent remarquer que cette noble institution gagnerait à se moderniser. Les trois jours de tunnel de discussion générale dont nous sortons en sont un brillant exemple. Alors que je suis venu lundi après-midi de ma circonscription, nous débutons à peine l’examen des articles. Vu de l’extérieur, personne n’entend plus rien au fonctionnement institutionnel ; nous sommes les derniers à le comprendre et nous gagnerions un jour à distinguer le travail politique de l’examen du texte.
M. Fabien Di Filippo
Il y a eu un autre texte examiné entre-temps ! C’est de votre faute, c’est le temps législatif programmé !
M. Christophe Euzet
Le groupe Agir ensemble a déjà dit tout le bien qu’il pensait du projet de loi. Concernant l’article 1er, nous nous réjouissons tout particulièrement de le voir complété par un article 1er
Afin de transcrire dans la loi un acquis jurisprudentiel, le premier alinéa de l’article 1er prévoit que tout organisme se voyant confier directement par la loi ou le règlement l’exécution d’un service public serait désormais tenu d’assurer l’égalité des usagers et de veiller au respect des principes de neutralité et de laïcité du service public. De même, aux termes du deuxième alinéa, toute personne contractant avec cet organisme en vue de l’exécution d’une mission de service public serait tenue de respecter les mêmes exigences. Ne seraient concernés, cependant, ni les collaborateurs occasionnels du service public – le remède pouvant se révéler pire que le mal –, ni les entreprises qui n’entretiennent plus de relations avec l’organisme accomplissant une mission de service public. Notre groupe souscrit à ce choix, motivé par la volonté de ne pas interférer dans la vie des entreprises.
Permettez-moi de faire le lien entre cet article et l’article 6, qui prévoit la signature d’un contrat d’engagement républicain pour les associations sollicitant ou bénéficiant d’une subvention. Mme la
M. Fabien Di Filippo
C’est pourtant un marcheur de la première heure. Il a dû subir une crise de lucidité !
M. Christophe Euzet
Qu’en est-il, en effet, des entreprises qui souscrivent des contrats avec les administrations en passant des marchés de fournitures, de services ou de travaux n’ayant rien à voir avec le service public ? Ne vivent-elles pas de l’argent public ? Il nous paraît indispensable qu’elles ne soient pas seulement sommées de respecter le principe de neutralité et de laïcité, mais qu’elles signent également un contrat d’engagement républicain.
M. Stéphane Peu
Il n’y a donc plus aucune limite au temps de parole ?
M. le président
La parole est à M. Francis Chouat.
M. Francis Chouat
Je suis convaincu que cet article peut être adopté à l’unanimité par notre assemblée, ce qui serait souhaitable compte tenu de son importance politique et pratique.
Dans la trilogie de la laïcité française que M. le ministre de l’intérieur se plaît régulièrement à rappeler, la neutralité des services publics occupe une place centrale ; c’est ce principe qui distingue fondamentalement notre modèle d’autres en usage à l’étranger – dans les pays anglo-saxons en particulier –, là où le communautarisme est la règle, où les fonctionnaires ne sont pas protégés, où une religion est officielle, où des règles particulières sont supérieures à l’exercice de l’intérêt général. En ce sens, la neutralité de l’État garantit l’égalité et la liberté. Or ce sont précisément les services publics qui assurent le respect de ce principe.
Or que constate-t-on depuis au moins deux décennies ? Premièrement, la neutralité représente une notion beaucoup trop vague pour les agents. Ainsi, dans la commune que j’ai dirigée, trois ans auront été nécessaires pour former tous les personnels communaux en relation avec le public.
Deuxièmement, les services publics – les services municipaux, les hôpitaux, les organismes sociaux – sont de plus en plus souvent confrontés aux coups de boutoir de réseaux prétendument religieux qui exacerbent les exigences séparatistes au nom de la liberté individuelle. Et face à ces derniers, beaucoup d’élus, de responsables administratifs ou d’organismes ne sont pas ou très peu armés.
Troisièmement, le périmètre du service public a considérablement évolué au cours des trente dernières années, puisque les organismes privés comme publics peuvent obtenir des délégations de service public. Il semble donc évident qu’ils doivent tous respecter le principe de neutralité. Il faut regretter, chers collègues, que trop peu d’entreprises qui concourent à l’action publique aient engagé en leur sein des négociations sur le sujet, alors même qu’elles y sont obligées. La réaffirmation du principe cardinal de neutralité des services publics et son extension à de nouveaux acteurs doivent donc inverser une tendance dont l’islamisme politique a profité, celle qui nous a conduits à accepter de trop nombreux accommodements. Lorsque la crainte de stigmatiser ce qui n’est que l’instrumentalisation de la liberté religieuse à des fins idéologiques l’emporte sur toute autre considération, c’est tout l’édifice de la laïcité française qui vacille. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.)
M. le président
La parole est à Mme Sonia Krimi.
Mme Sonia Krimi
« Cachez ce voile que je ne saurais voir » : voilà ce que m’inspire la lecture de cet article. Comme plusieurs collègues de la majorité, je considère que si l’État est laïque, la société ne l’est pas. L’État n’a pas vocation à rendre invisible les signes religieux dans l’espace public ; cela me semblerait en contradiction avec l’esprit de la loi votée en 1905.
M. Bertrand Pancher
Excellent !
Mme Sonia Krimi
Or imposer la neutralité aux employés d’une entreprise délégataire même quand leur mission ne relève pas directement du service public, cela revient en définitive à effacer la religion et ses signes. À cet égard, la rédaction de l’article 1er est ambiguë ; j’espère que nos discussions permettront de lever cette ambiguïté.
Concernant le point important relatif au statut des collaborateurs occasionnels, vous avez précisé qu’ils ne pouvaient être soumis aux obligations de neutralité et de laïcité, à moins de réviser la Constitution. Comment les entreprises délégataires de service public vont-elles appliquer l’article 1er ? Avec quels moyens et quels outils vont-elles contrôler, demain, les signes religieux ? À mes yeux, l’absence de définition rend trop difficile l’interprétation de cet article, ce qui peut faire naître des discriminations à l’encontre des salariés – y compris, bien évidemment, toutes les personnes qui occupent un emploi peu rémunérateur, telles que les femmes de ménage, les personnes qui nettoient les trains…
Monsieur le ministre, je vous vois secouer la tête. J’espère vous entendre confirmer que ces personnes vulnérables n’entrent pas dans le champ d’application de l’article. (M. Mustapha Laabid et M. Bertrand Pancher applaudissent.)
M. Florent Boudié, rapporteur général de la commission spéciale et rapporteur pour le chapitre Ier du titre II
Elle a vraiment dit n’importe quoi !
M. le président
La parole est à M. Julien Ravier.
M. Julien Ravier
Après l’horreur de la décapitation du professeur Samuel Paty parce qu’il enseignait à ses élèves la liberté d’expression, ainsi que le droit de caricaturer et de blasphémer, après le cruel assassinat de croyants catholiques à Nice en raison de leur foi, après les centaines de victimes de terroristes islamistes, après Mohamed Merah, Charlie Hebdo, l’Hyper Casher, il était grand temps de prendre à bras-le-corps la lutte contre l’islamisme.
Même si nous accueillons favorablement l’examen de ce projet de loi indispensable, qui comporte de véritables avancées sur la neutralité dans le service public – objet de l’article 1er –, sur la protection des agents du service public, avec le délit de séparatisme, sur la lutte contre les certificats de virginité, la polygamie ou les mariages forcés, sur la lutte contre la haine en ligne ou encore le contrôle des financements étrangers des associations cultuelles, force est de constater que sa rédaction ne va pas assez loin.
Faute d’aborder, pour des raisons parfois bassement politiques ou pour ne pas courir le risque d’inconstitutionnalité, des sujets fondamentaux, le texte se prive de la possibilité de lutter efficacement contre le fondamentalisme islamiste, terreau du terrorisme. Oui, en évitant soigneusement ces sujets fondamentaux que sont l’immigration, la radicalisation en prison, à l’université, à l’école publique, l’interdiction des signes religieux ostentatoires pour les fillettes, pour les accompagnants de sortie scolaire ou encore en entreprise et, bien entendu, la formation – grande absente d’un projet de loi censé conforter les principes républicains –, en ne nommant pas l’ennemi, il rate sa cible et provoque des dommages collatéraux.
La peur de nommer les choses n’est pas un programme politique. Notre ennemi, c’est l’islamisme politique, radical et séparatiste. Quels risques prenons-nous à le cibler ? Celui de vexer les Français de confession musulmane ? Certainement pas : en nommant l’islamisme, on ne peut que contribuer à le distinguer toujours mieux de l’islam.
Monsieur le ministre, conforter les principes républicains, ce n’est pas constamment restreindre nos libertés. C’est aussi former et transmettre ces principes. Les associations devront s’engager par un contrat à les respecter, mais je regrette qu’on ne leur propose aucune formation. Le milieu sportif est particulièrement concerné par l’entrisme islamiste. Or il n’y a toujours aucune formation pour les éducateurs sportifs. En revanche, vous stigmatisez des familles entières qui instruisent leur enfant à domicile. Ce faisant, vous bafouez la liberté d’instruction qui a valeur constitutionnelle, alors même qu’aucune preuve n’établit le lien entre instruction en famille et radicalisation.
Vous nous rétorquez que les dispositions efficaces que propose le groupe Les Républicains seraient inconstitutionnelles, mais, paradoxalement, vous avez refusé la réforme constitutionnelle visant à consacrer la prééminence des lois de la République sur la foi que nous vous proposions dans notre niche parlementaire.
Bref, ce projet de loi n’est pas à la hauteur des enjeux.
M. Florent Boudié, rapporteur général
Votre discours non plus !
M. Julien Ravier
Vous avez risqué une métaphore en parlant de la « maladie de l’islamisme en France », mais, pas plus que M. Véran, vous n’êtes à la hauteur en matière de vaccination. Pour enrichir le texte, le groupe Les Républicains défendra des amendements – du moins ceux qui ont été déclarés recevables aux termes d’une certaine interprétation de l’article 45 de la Constitution.
M. François de Rugy, président de la commission spéciale
Non ! De son application !
M. Julien Ravier
Il est grand temps de protéger efficacement les Français et la République. Les Français nous le demandent et ils le méritent. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LR.)
M. le président
La parole est à Mme Laurence Trastour-Isnart.
Mme Laurence Trastour-Isnart
Le projet de loi vise à lutter contre la menace que représente le séparatisme islamiste. En écho au discours prononcé par le Président de la République aux Mureaux, le 2 octobre dernier, l’exposé des motifs exprime avec force que « l’entrisme communautariste, insidieux mais puissant, gangrène lentement les fondements de notre société dans certains territoires », et appelle dès lors à lutter contre l’islamisme radical avec un arsenal juridique approprié.
Compte tenu de cette prétendue détermination, je m’étonne que ni l’article 1er ni les autres ne nomme de façon plus explicite le danger constitué par l’islamisme radical, alors même qu’il est l’essence du texte. L’absence de ces termes risque de créer une confusion pour les citoyens. La formulation de cet article – et de tous les suivants – n’est donc pas appropriée.
Les Français peuvent légitimement s’interroger. S’agit-il d’un renoncement ou d’un manque de courage de la part du Gouvernement et de sa majorité ? Cet exercice sémantique, reflet de la politique du « en même temps », trahit une faiblesse notable, qui aura de lourdes conséquences. Nous ne devons pas nous tromper de combat. Comment pourrions-nous atteindre un objectif si on ne l’inscrit pas explicitement dans le marbre de la loi ?
M. le président
La parole est à M. Stéphane Peu.
M. Stéphane Peu
Avant d’entrer concrètement dans l’examen des amendements, je précise, comme nous l’avons fait en commission, que notre avis est plutôt positif sur cet article visant à ce que la neutralité et la laïcité propres au statut de la fonction publique puissent être, par extension, des contraintes imposées aux délégataires de service public.
À ce stade, je rappelle ce que ces notions doivent à notre famille politique. C’est en effet à un député communiste, Étienne Pajon, que l’on doit l’introduction de celle de laïcité dans le préambule de la Constitution de 1946, reprise en 1958, et à Maurice Thorez, en 1946, puis à Anicet Lepors, en 1983, qu’on doit l’affirmation de la neutralité et de la laïcité du statut de la fonction publique.
M. François Cormier-Bouligeon
Très bien !
M. Stéphane Peu
C’est vous dire notre attachement à ces notions, dû à leur filiation historique.
Plus récemment, j’ai lu le rapport d’information sur les services publics face à la radicalisation et j’ai discuté avec ses auteurs Éric Diard et Éric Poulliat. Selon eux, dans sa conception et sa rédaction actuelle, le statut de la fonction publique est plutôt protecteur face à la radicalisation. Quand il y a des trous dans le périmètre des services publics, c’est justement en cas de délégation, de transfert d’une responsabilité ou d’une compétence à des prestataires extérieurs.
Pour finir, je formulerai deux remarques.
La première s’adresse à la majorité parlementaire à laquelle je reproche son manque de cohérence, car enfin une loi ne chasse pas l’autre. Je me souviens fort bien des débats que nous avions eus ici même lors de l’examen du projet de loi de transformation de la fonction publique.
M. Boris Vallaud
Ah oui ! Tiens !
M. Stéphane Peu
Notre groupe avait suivi les auditions et il était quotidiennement en contact avec Anicet Lepors, auquel on doit l’affirmation de la laïcité et de la neutralité dans les services publics. Qu’avez-vous fait en autorisant que le recrutement d’un million de fonctionnaires, sur les 5 millions des trois fonctions publiques, puisse se faire hors statut ? Vous avez cassé celui-ci. Vous avez inscrit dans le temps l’extinction progressive du statut de la fonction publique, dont les principes majeurs sont la neutralité et la laïcité. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et sur quelques bancs du groupe SOC. – Protestations sur quelques bancs du groupe LaREM.) Ayez donc un peu de cohérence ! Au passage, je regrette que tous les amendements visant à réaffirmer le statut de la fonction publique avec ses vertus laïques et sa neutralité aient été rejetés au motif qu’ils auraient constitué des cavaliers.
Ma seconde remarque s’adresse à nos collègues de la droite – qui peuvent aussi parfois être des amis. Certains d’entre eux profiteront de cet article pour se lancer dans des discours légèrement obsessionnels – reconnaissons-le – sur le port du voile dans l’espace public. Ce faisant, ils entretiendront savamment la confusion entre fonction publique, service public et espace public, notions que la législation française distingue nettement depuis des décennies.
Avant qu’on ne discute de l’article 1er, je citerai donc une phrase prononcée par Aristide Briand lors de l’examen de la loi de 1905, période à laquelle, si le port du voile était moins présent qu’aujourd’hui, la manifestation extérieure de la religion n’en existait pas moins dans notre pays : « Au moment où le législateur pénètre dans le domaine sacré de la conscience, il nous faut indiquer les principes qui nous inspirent. » Il ajoutait : « La République ne saurait opprimer les consciences ou gérer dans ses formes multiples l’expression extérieure du sentiment religieux. »
M. Julien Ravier
La menace n’était pas la même !
M. Stéphane Peu
Une telle phrase pourrait peut-être exonérer notre débat de tous les amendements obsessionnels sur le voile. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)
M. le président
La parole est à M. Éric Ciotti.
M. Éric Ciotti
Si je prends la parole, ce que je n’avais pas prévu de faire à ce stade, c’est pour répondre à M. le ministre qui s’est livré tout à l’heure à une forme de provocation dont il est coutumier. J’ai lu avec intérêt sa communication institutionnelle, abondamment relayée, visant à annoncer la naissance d’un nouveau Darmanin, calme et apaisé ; mais, à l’évidence, monsieur le ministre, les vieux ressorts sont toujours actifs, et vous portez une attention particulière à la famille politique que vous avez quittée et trahie. (Exclamations sur les bancs du groupe LaREM.)
Mme Marie-Christine Verdier-Jouclas
Quand on ne sait pas quoi dire…
M. Éric Ciotti
Je ne peux pas accepter que vous m’accusiez de mentir et de proférer des contre-vérités. Julien Ravier l’a rappelé : nous n’avons pas voté la totalité des articles du texte. Si vous voulez que nous n’en votions aucun, c’est votre choix. C’est même peut-être votre volonté, mais nous ne céderons pas à toutes vos provocations, pas plus que nous ne tomberons dans vos pièges.
M. Pierre Cordier
Très bien, monsieur Ciotti !
M. Éric Ciotti
Les attaques que vous avez portées sont mensongères. Je rappelle les termes de mon intervention d’hier soir, que j’ai dédiée à deux femmes courageuses aujourd’hui menacées de mort dans la République française : Mila et Zineb El Rhazoui. Je ne vous ai nullement mis en cause, monsieur le ministre. J’ai seulement constaté qu’en France, au XXIe siècle, une jeune lycéenne de 17 ans et une journaliste de Charlie Hebdo sont menacées.
Si vous le contestez, je vous rappelle les propos de Mila, dans l’interview qu’elle a donnée au Point le 20 janvier. « Ça fait un an que j’ai perdu ma vie. » Elle ajoute : « Ma vie ne sera plus jamais la même. » Je rappelle, parce que c’est un fait, et non une mise en cause dont vous seriez l’objet, que cette jeune femme ne peut plus rester dans son établissement. Voici les termes du communiqué du colonel proviseur de ce lycée militaire : « Son maintien dans l’établissement lui fait courir un risque. » C’est un fait.
L’article rappelle que la décision du colonel proviseur a été très mal accueillie par le père de Mila, qui lui a écrit : « Contrairement à vous et à tant d’autres, Mila ne se soumettra jamais. » Ce n’est pas moi qui le dis, mais le père de cette jeune femme courageuse que la République protège.
Je n’ai jamais prétendu que la République ne la protégeait pas.
Plusieurs députés du groupe LaREM
Si !
M. Éric Ciotti
J’ai seulement indiqué qu’elle a dû quitter un établissement public, parce qu’elle est menacée – ce qui est très grave.
Des propos que j’ai tenus sur Zineb El Rhazoui, vous concluez que j’attaque les policiers. L’ai-je jamais fait ? Cette journaliste est heureusement protégée, ce qui est logique, et vous le savez, par le SDLP, service de la protection policière, qui a également assuré ma surveillance jusqu’au jour précis où la majorité actuelle est arrivée au pouvoir.
M. Gérald Darmanin, ministre
Oh ! Vraiment ?
M. Pierre Cordier
Oui, ça fait mal !
M. Éric Ciotti
Je rends donc hommage à ces policiers. Ne faites pas d’amalgame ! C’est sans doute votre façon d’agir, mais elle n’a pas sa place dans notre démocratie ni dans notre hémicycle. (Applaudissements sur les bancs du groupe LR.)
M. le président
La parole est à Mme Laurianne Rossi.
Mme Laurianne Rossi
L’article 1er tend à inscrire dans la loi le principe selon lequel les organismes de droit public ou privé chargés de l’exécution d’un service public seront désormais soumis aux principes d’égalité, de laïcité et de neutralité. L’article me semble nécessaire, indispensable, et nous le soutenons avec force.
Il imposera aux titulaires des contrats de commande publique ayant également pour objet l’exécution d’un service public de veiller au respect de ces principes fondamentaux pour notre République, parce que l’activité de service public commande l’application du principe de neutralité, conformément à notre cadre constitutionnel, maintes fois rappelé par le Conseil constitutionnel. Ainsi, le principe de neutralité s’appliquera strictement aux agents du service public et à ses délégataires. Évidemment, les usagers n’y sont pas soumis. Nous laissons également de côté la troisième catégorie, celle des collaborateurs occasionnels du service public, catégorie non homogène, comme l’a rappelé le Conseil d’État en 2013.
Je me félicite également que la commission spéciale chargée de l’examen du projet de loi ait adopté mon amendement ajoutant que les services de transport à la personne librement organisés ou non conventionnés, en tant qu’ils participent à une mission de service public, se doivent eux aussi de respecter les obligations et les principes fondamentaux auxquels sont soumis les titulaires de contrats de la commande publique. Quel que soit leur mode de gestion, tous les services publics seront ainsi concernés par l’article 1er, lequel vient parfaire le régime de neutralité et de laïcité qui leur est applicable.
Dans un avis, le Conseil d’État invitait le législateur à mieux préciser la nature des mesures à prendre par les organismes visés afin que ceux-ci s’acquittent correctement de leurs obligations. C’est l’objet d’un amendement que je dépose avec plusieurs des collègues de mon groupe. Car, outre qu’ils doivent respecter les principes fondamentaux de notre République, et notamment du principe de neutralité que l’article 1er vise à leur imposer, il est aussi de leur responsabilité de sanctionner les manquements à ces principes, et je crois qu’il faudra préciser l’article en ce sens.
M. le président
La parole est à M. Philippe Vigier.
M. Philippe Vigier
Avec l’article 1er, ce sont les principes mêmes du texte, ce texte important et attendu depuis longtemps, que nous abordons. Tout le monde parle de neutralité et de laïcité, mais c’est le moment de rappeler que ces valeurs doivent être revisitées car elles ont été fragilisées ces dernières années.
Notre collègue parlait à l’instant de leur extension aux organismes de droit privé qui seront chargés de respecter ces principes de neutralité et de laïcité dans le cadre de délégations de service public.
Quant à moi, monsieur le ministre, je voudrais appeler votre attention sur les élus. Vous avez la chance d’avoir 300 000 élus locaux, dont les agents de l’État que sont les maires : il y a l’Assemblée nationale, il y a le Sénat, il y a tout ce qui est décidé au niveau national, mais il y a, ensuite, la déclinaison locale. Les trois fonctions publiques sont exposées, mais sur le terrain, les élus sont en première ligne. Il est donc important, me semble-t-il, de leur expliquer ce que représentent la laïcité et la neutralité des services publics, de les former, de les sensibiliser pour leur permettre, au cours de leur mandat, d’être mieux armés – j’emploie ce mot à dessein. C’est un exercice indispensable car la neutralité et la laïcité ne seront vivantes que si chacun, dans son rôle et à son niveau de responsabilité, est naturellement impliqué dans ce combat – car ce n’est rien d’autre qu’un combat. Je regrette que le texte n’évoque pas les nombreux élus qui attendent seulement qu’on leur tende la main pour participer à sa réussite de cette entreprise.
Pour des raisons liées à la libre administration des collectivités territoriales ou à une charge financière – vous savez bien, mes chers collègues, que l’article 40 tombe comme un couperet dès que les parlementaires ont quelques idées –, il est dommage que nous ne puissions pas aller plus loin dans le texte. Nous avons eu cette discussion en commission spéciale, monsieur le ministre, et j’ai vu que vous y étiez sensible ; à un moment ou à un autre, il faudra faire quelque chose, car vous ne pouvez pas exclure 300 000 personnes de ce combat alors que vous avez besoin d’elles au quotidien. J’espère que vous leur prêterez une oreille attentive et que nous pourrons avancer ensemble.
M. le président
La parole est à Mme Émilie Chalas.
Mme Émilie Chalas
En tant que rapporteure du projet de loi de transformation de la fonction publique, je voudrais avoir un mot pour ne pas laisser dire trop de faussetés sur ce texte et préciser ce que revêt l’expression « mission de service public » pour tous les agents, qu’ils soient fonctionnaires titulaires ou contractuels. Je regrette que M. Peu ne puisse pas entendre mes propos : bien sûr, lorsqu’on est contractuel de la fonction publique, les droits et devoirs – et surtout les devoirs – sont les mêmes que pour un fonctionnaire titulaire. Le sous-entendu selon lequel, en ouvrant la fonction publique aux contractuels, nous déliterions les engagements et les devoirs de ceux qui servent l’action publique, est infondé, qu’on se le dise.
Enfin, évidemment que, lors des débats sur le projet de loi de transformation de la fonction publique, les amendements sur la laïcité et les valeurs de la République étaient des cavaliers, puisque nous avions déjà en tête le fait que le projet de loi sur la défense des principes de la République, annoncé par le Gouvernement, allait arriver au Parlement ! C’est aujourd’hui, à travers ce texte, que nous allons parler de ces valeurs. Ces sujets étaient des cavaliers législatifs à l’époque. Ils font désormais l’objet de nos débats. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.)
M. le président
La parole est à M. Florent Boudié, rapporteur général de la commission spéciale et rapporteur pour le chapitre Ier du titre II.
M. Florent Boudié, rapporteur général de la commission spéciale et rapporteur pour le chapitre Ier du titre II
Je voudrais dire à notre collègue Éric Ciotti qu’il faut savoir assumer ses propos de façon transparente et sans détour. Hier soir, ici même, à cette tribune, cher collègue, vous avez affirmé devant la représentation nationale, à propos de la jeune Mila : « la République […] ne sait pas la protéger ». Ce sont les termes exacts que vous avez employés ! Or, en ce moment, des forces de l’ordre protègent la jeune Mila et sa famille.
M. Éric Ciotti
Je parlais du lycée dans lequel elle était scolarisée !
M. Florent Boudié, rapporteur général
Sur des sujets aussi importants, monsieur le député, je vous encourage, tout au long des débats qui seront les nôtres dans les jours qui viennent, à dire la vérité et rien que la vérité. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.)
M. le président
L’amendement de suppression no 2247 de Mme Sonia Krimi est défendu.
(L’amendement no 2247, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)
M. le président
Je suis saisi de cinq amendements, nos 1093, 2393, 16, 1612 et 1805, pouvant être soumis à une discussion commune.
Les amendements nos 1093 et 2393 sont identiques.
La parole est à Mme Constance Le Grip, pour soutenir l’amendement no 1093.
Mme Constance Le Grip
L’article 1er inscrit utilement dans la loi la jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation en vertu de laquelle « les principes de neutralité et de laïcité du service public sont applicables à l’ensemble des services publics, y compris lorsque ceux-ci sont assurés par des organismes de droit privé ». Fort bien : l’article 1er, les députés Les Républicains y souscrivent bien volontiers, et nous souhaitons même très modestement tenter d’en améliorer la rédaction.
Il apparaît, en effet, qu’il y a lieu de compléter et de préciser, par l’amendement que M. Larrivé et moi-même avons déposé, les tenants et aboutissants de l’article, dont la formulation actuelle, moins rigoureuse et plus sujette à interprétation, risque paradoxalement d’être vue comme de nature à restreindre la portée de la jurisprudence. Je pense en particulier aux mots : « la loi et le règlement confie directement », etc. Que se passe-t-il lorsque la mission de service public est confiée par contrat, dans le cas d’une délégation ? Ou lorsqu’un organisme est reconnu comme exerçant une mission de service public qui lui a été confiée par l’administration ? Dans les deux cas, il peut y avoir une mauvaise interprétation.
M. le président
La parole est à M. Francis Chouat, pour soutenir l’amendement no 2393.
M. Francis Chouat
J’ai redéposé en séance cet amendement portant sur le champ d’application de l’article 1er car les arguments employés pour le repousser en commission, si solides soient-ils, ne m’ont pas convaincu. Il s’agit d’envisager le cas où un organisme public ou privé participe au service public par un lien autre qu’un contrat de commande publique ; ce faisant, il s’agit d’intégrer dans la loi la jurisprudence du Conseil d’État.
On m’a objecté que cela conduirait à une nouvelle définition du service public. Mais comment pourrions-nous accepter qu’au regard du respect de la neutralité et de la laïcité, il y ait deux services publics : d’un côté, celui assuré pour une mission résultant de la loi, et de l’autre, celui assuré pour une mission dont le caractère d’exécution du service public serait déterminé par le juge et sur lequel projet de loi devrait rester silencieux ?
On a aussi objecté que l’amendement était inutile car ce que la jurisprudence a fait, elle peut le refaire. Certes, sauf que le projet de loi change la donne, dès lors que le législateur se prononce explicitement pour un élargissement du devoir de neutralité. Si le silence de la loi favorise une interprétation restrictive, eh bien, chers collègues, gageons que ceux qui n’adhèrent pas aux principes de la République sauront faire leur cette interprétation.
Ne pas accepter cet amendement serait évidemment regrettable à mes yeux, mais ce serait surtout une occasion perdue et un aliment pour la machine à contentieux qui mettra des années à trancher.
M. le président
La parole est à M. Frédéric Reiss, pour soutenir l’amendement no 16.
M. Frédéric Reiss
Comme vient de le dire M. Chouat, l’article 1er du projet de loi consacre la jurisprudence du Conseil d’État. La rédaction de l’article doit néanmoins être précisée. Tout d’abord, il convient d’ajouter le contrat à la loi et au règlement, afin de couvrir tout le champ de délégation du service public. Ensuite, l’amendement permettra d’étendre les exigences de neutralité et de laïcité au cas où le service public est déduit des caractéristiques de la tâche confiée à l’organisme et des relations qu’entretient avec lui une personne publique.
M. le président
La parole est à M. Fabien Di Filippo, pour soutenir l’amendement no 1612.
M. Fabien Di Filippo
Je défends ici l’excellent amendement de mon collègue Éric Ciotti, lequel vise à élargir le champ d’application de l’article 1er afin de ne pas concerner seulement les services publics eux-mêmes ou ceux qui concourent à une mission de service public par le biais d’un contrat ou d’une délégation, mais aussi ceux qui concourent, en dehors de tout contrat, à une mission de service public – une situation fréquente dans la vie quotidienne. Il est important que le champ de l’article s’applique à l’ensemble des missions de service public.
M. le président
La parole est à M. Pascal Brindeau, pour soutenir l’amendement no 1805.
M. Pascal Brindeau
Cet amendement déposé à l’initiative de Meyer Habib vise le même objectif que ceux qui viennent d’être présentés, même si sa rédaction est un peu différente. Ces amendements peuvent paraître redondants, mais ils ont pour objectif d’étendre aux organismes privés qui concourent de manière indirecte à l’exercice d’un service public l’obligation de respecter les principes de laïcité et de neutralité. Le texte actuel vise le champ des délégations et des contrats par lesquels la puissance publique peut confier à un organisme de droit privé l’exercice d’une mission de service public, mais il est des cas où la participation de l’organisme privé se fait hors du champ contractuel.
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure
Ces amendements posent d’entrée de jeu le problème du champ d’application de l’article 1er, dont la lecture, il est vrai, n’est pas toujours aisée. Cela tient à la conception que nous avons en France du service public, une notion très difficile à définir.
Il a fallu déterminer le champ d’application au service public des principes de neutralité et de laïcité dès cet article, étant admis par tous que ce champ ne pouvait se restreindre aux seules personnes de droit public. Le choix fait dans ce projet de loi d’une double entrée, par la loi ou le règlement d’une part, par le contrat de la commande publique d’autre part, a laissé, c’est vrai, hors du champ d’application des dispositions de l’article 1er des cas d’exécution du service public par un organisme privé.
Vos amendements, mes chers collègues, auraient le mérite de permettre à l’article 1er de couvrir tous les contrats et tout le champ du service public dégagés par la jurisprudence. Cette solution m’avait séduite en commission spéciale et il est vrai que j’avais soutenu, au moins partiellement, certains d’entre eux.
Mais cette rédaction rencontre des obstacles. D’une part, elle risque d’imposer l’observation des principes de neutralité et de laïcité aux établissements d’enseignement confessionnel et aux ESPIC – établissements de santé privés d’intérêt collectif –, qui en sont légitimement exonérés.
M. Philippe Vigier
Eh oui !
Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure
D’autre part, la jurisprudence de l’arrêt APREI du Conseil d’État du 22 février 2007, à laquelle vous avez fait référence, relative au faisceau d’indices, correspond à un cas d’espèce complexe, très particulier. À mon sens, votre proposition n’apporterait ainsi aucune clarification quant au champ du principe.
Enfin, en incluant les contrats au sens large parmi les modalités de délégation du service public, vous risquez d’étendre le champ d’application de l’article 1er au-delà de celui retenu par la jurisprudence de la Cour de cassation.
Depuis nos débats en commission spéciale, je me suis donc laissée convaincre qu’il était vain de vouloir étendre le domaine d’application des principes d’égalité, de neutralité et de laïcité au-delà de ce qui est prévu dans le projet de loi. Sans doute ces dispositions ne couvrent-elles pas de manière exhaustive toutes les entités susceptibles d’être soumises au respect de ces principes ; mais elles posent une règle générale, qu’il reviendra ensuite à la jurisprudence d’appliquer à différentes situations concrètes.
Vous me ferez observer que la commission spéciale a prévu d’étendre les dispositions de l’article 1er au service de transport à la personne. Certes. Peut-être élargirons-nous aussi le dispositif aux sociétés anonymes HLM, mais je crois qu’il est sage de s’en tenir là. J’ajoute que les organismes privés ou publics qui se trouvent hors du champ d’application de l’article 1er ne sont pas pour autant exonérés du respect des principes de laïcité et de neutralité, qui s’appliquent à eux en raison de leur participation à l’exécution du service public, conformément à la jurisprudence qui continuera à s’appliquer.
Pardonnez-moi d’avoir été un peu longue, c’est que j’essaye de faire preuve de pédagogie – j’en ai moi-même eu besoin pendant un bon moment sur ces questions. J’émets donc un avis défavorable sur ces cinq amendements.
M. le président
Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre
Si ces amendements, dont plusieurs sont défendus par des députés du groupe Les Républicains, étaient adoptés, le respect du principe de neutralité s’imposerait aux écoles catholiques sous contrat et aux établissements hospitaliers d’inspiration confessionnelle, nombreux dans nos territoires. Je ne suis pas certain que ce soit le souhait de leurs signataires…
Je vous renvoie à l’étude d’impact et aux longues discussions que nous avons eues lors de l’examen de l’article 1er en commission spéciale. Dans la rédaction actuelle, l’obligation de neutralité pour les établissements exécutant un service public ne concerne ni les ESPIC ni les établissements sous contrat d’association. Évidemment, nous inscrivons la jurisprudence du Conseil d’État dans la loi de manière à éviter que les salariés de ces établissements soient soumis à un devoir de totale neutralité. Je souscris donc aux arguments avancés par Mme la rapporteure et je vous invite à repousser ces amendements.
Je comprends la démonstration de M. Chouat, mais je ne suis pas certain que telle était la volonté du groupe LR. Votre amendement no 16 en particulier, madame Genevard, est contradictoire avec votre proposition de soustraire certains établissements exécutant des missions de service public à ces obligations de neutralité.
M. le président
La parole est à M. Pascal Brindeau.
M. Pascal Brindeau
J’entends vos arguments, madame la rapporteure. Vous avez d’ailleurs indiqué dans votre propos introductif que la rédaction actuelle était susceptible d’interprétation pour ce qui touche à la portée des obligations et au type de liens contractuels avec un organisme de droit privé concourant à l’exercice d’un service public. Vous reconnaissez d’ailleurs que vous choisissez de laisser la jurisprudence trancher certaines situations.
M. Francis Chouat
Exactement !
M. Pascal Brindeau
Pour notre part, nous pensons qu’il revient à la loi de préciser son champ d’application, plutôt que de laisser la jurisprudence trancher des situations qui seront parfois complexes.
M. le président
La parole est à M. Charles de la Verpillière.
M. Charles de la Verpillière
J’ai écouté attentivement Mme la rapporteure et M. le ministre. Cet article pose à l’évidence un problème de rédaction. Vous essayez – je comprends bien que ce n’est pas facile et que vous êtes de bonne foi – de cibler les activités qui devraient être soumises à une obligation de neutralité, en les énumérant.
M. Gérald Darmanin, ministre
Non, on ne les énumère pas !
M. Charles de la Verpillière
Mais vous êtes une juriste, madame la rapporteure, et vous voyez bien le problème que cela pose en droit : sitôt que l’on procède à une énumération, on crée des a contrario. Or comme le service public est multiforme, certains services publics auxquels nous ne songeons pas forcément – M. le ministre a raison de parler des écoles confessionnelles – risquent d’être oubliés et d’échapper à l’obligation de neutralité.
M. Gérald Darmanin, ministre
Au contraire !
M. Charles de la Verpillière
Nos amendements visent précisément à y remédier.
M. Pierre Cordier
Très bien !
M. le président
La parole est à M. le rapporteur général.
M. Florent Boudié, rapporteur général
Mon cher collègue, non, l’article 1er n’énumère pas les activités concernées.
M. Charles de la Verpillière
Si, il est restrictif.
M. Florent Boudié, rapporteur général
Au contraire, il fixe des principes généraux.
Par ailleurs, l’article 1er intègre la jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation de 2013 : toute personne, qu’elle soit de droit public ou privé, doit appliquer le principe de neutralité, dès lors qu’elle exerce une mission de service public. Avec cet article, nous inscrirons dans la loi que cette obligation vaut lorsque le service public est attribué par la loi, par le règlement, mais aussi par la commande publique. De là provient la difficulté soulevée par M. le ministre de l’intérieur : si nous inscrivions la notion de contrat, nous étendrions l’obligation de neutralité aux établissements privés – autrement dit le contraire de ce que Mme Genevard souhaitait en commission spéciale. Il faut donc faire preuve de beaucoup de prudence sur ces questions.
Ce que nous n’intégrons pas en revanche dans l’article 1er, c’est la jurisprudence de l’arrêt du 22 février 2007 du Conseil d’État, qui se veut d’espèce et qui essaie de requalifier a posteriori un ensemble d’activités en missions de service public, en se fondant sur l’examen des conditions de leur création, de leur contrôle par l’administration, de leur fonctionnement, mais aussi sur leur valeur d’intérêt général. Si le projet de loi n’intègre pas cette approche, c’est parce que nous ne pouvons pas définir dans la loi les conditions de création et de fonctionnement des organismes concernés – ou alors il faudrait se livrer à une énumération, qui ne peut, par définition, être exhaustive, et justifierait le reproche de M. de la Verpillière.
M. le président
La parole est à M. Francis Chouat.
M. Francis Chouat
Chers collègues du groupe majoritaire, auquel je suis apparenté, que les choses soient claires : ce n’est pas parce que l’amendement que j’ai déposé est identique à celui d’un membre de l’opposition qu’il doit être discrédité – sinon, j’en tirerai les conséquences.
M. Bertrand Pancher
Ah, c’est bien !
Mme Constance Le Grip
Il a raison !
M. Fabien Di Filippo
On aura appris quelque chose aujourd’hui !
M. Boris Vallaud
Il s’agit de faire peur ?
M. Francis Chouat
Il ne s’agit pas de faire peur à qui que ce soit, monsieur Vallaud, mais simplement d’être en conformité avec mes convictions.
M. le président
Monsieur Vallaud, laissons parler M. Chouat.
M. Francis Chouat
Je ne reviens pas sur le fond, mais ces amendements ont le mérite de prolonger dans l’hémicycle nos débats en commission spéciale. Je maintiens mes réserves et mon désaccord, notamment parce que cet article va donner lieu à une énorme jurisprudence, qui mettra des années à trancher.
Enfin, utilisez les bons arguments : à aucun moment il n’a été question de faire porter le moindre risque aux écoles privées et aux ESPIC. Ces établissements sont de toute façon exclus du champ de l’article 1er ; ils le resteraient si mon amendement était adopté.
(Les amendements identiques nos 1093 et 2393 ne sont pas adoptés.)
(Les amendements nos 16, 1612 et 1805, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.)
M. le président
Je suis saisi de trois amendements identiques, nos 363, 483 et 619.
La parole est à M. Xavier Breton, pour soutenir l’amendement no 363.
M. Xavier Breton
Nous avons déposé les mêmes amendements aux différents articles de ce projet de loi, afin de préciser que ses dispositions ont bien pour objectif, conformément à ce qui est indiqué dans son exposé des motifs, de « lutter contre l’entrisme communautariste et contre les idéologies séparatistes. » Si nous ne ciblons pas précisément la menace, nous ne serons pas efficaces et nous en resterons à des mesures de portée générale avec des dommages collatéraux pour des associations, des citoyens, des cultes ou autres, qui se retrouveront dans le viseur alors qu’ils n’ont rien demandé.
M. Bertrand Pancher
Très bien !
M. Xavier Breton
Les termes ont été choisis afin de ne pas viser une religion en particulier, mais bien des mouvements dangereux pour notre démocratie : l’organisme chargé de l’exécution d’un service public est tenu de veiller au respect des principes d’égalité, de neutralité, etc., dans l’objectif notamment de lutter contre l’entrisme communautariste et contre les idéologies séparatistes.
M. le président
La parole est à M. Frédéric Reiss, pour soutenir l’amendement no 483.
M. Frédéric Reiss
Cet amendement dont le premier signataire est M. Hetzel est identique au précédent. Il s’agit de cibler les mesures de ce projet de loi, afin qu’elles correspondent bien à l’exposé des motifs.
M. le président
L’amendement no 619 de M. Marc Le Fur est défendu.
Quel est l’avis de la commission sur ces trois amendements identiques ?
Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure
C’est une tendance très anglo-saxonne que d’inscrire dans la loi ses objectifs. Ce n’est pourtant pas nécessaire : la loi parle d’elle-même. La précision particulière que vous proposez serait d’autant plus inutile que la lutte contre l’entrisme communautariste et les idéologies séparatistes n’est pas le seul objectif poursuivi. Avis défavorable.
M. le président
Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre
Même avis, pour les mêmes raisons.
M. le président
La parole est à M. Xavier Breton.
M. Xavier Breton
Le problème est justement que votre loi est beaucoup trop parlante… Vous ne vous inscrivez plus dans l’objectif initial de lutte contre le séparatisme, vous tentez d’imposer une certaine vision de la République à toute la société – à toutes les associations à l’article 6, à toutes les familles à l’article 21, qui concerne l’instruction, et à tous les cultes, dans d’autres articles. La loi concernera ainsi tout le monde, y compris des personnes, des associations et des cultes qui n’ont rien demandé et ne posent aucun problème. Elle leur créera des obligations, selon une vision de la République où tout est imposé de haut en bas – alors qu’il faudrait aller de bas en haut, partager et faire vivre l’idéal républicain, sans chercher à l’imposer.
Votre refus d’apporter ces précisions révèle que ce texte est devenu beaucoup trop large par rapport à son objectif initial, comme le montraient déjà les évolutions de son intitulé – il s’agissait au départ de lutter contre l’islamisme, puis contre le séparatisme ; la loi concerne finalement « le respect des principes de la République ». Un tel texte perturbera la vie de nos concitoyens dans bien des domaines.
M. le président
La parole est à M. Éric Coquerel.
M. Éric Coquerel
Nous abordons une série d’amendements qui, de manière plus ou moins caricaturale ou plus ou moins extrémiste, cherchent finalement à prendre au mot le Gouvernement : dans l’esprit de ses auteurs, relayés ici par plusieurs membres de la majorité, ce projet de loi ne porte pas en réalité sur le renforcement des principes républicains mais a été conçu comme un instrument de lutte contre le soi-disant séparatisme islamiste. De cette lecture découle l’idée qu’il faut aller encore plus loin, appeler un chat un chat, ainsi que l’on peut s’y sentir autorisé par un texte qui s’appuie et véhicule une idée fantasmée du supposé danger que constitue le séparatisme islamiste, le confondant d’ailleurs avec le terrorisme – mais nous y reviendrons.
Cela étant, l’article 1er est, pour le coup, sans doute le seul qui soit justifié : ce qui rend nécessaire la transposition dans la loi de ce qui est déjà inscrit dans la jurisprudence, c’est moins l’existence même de manifestations spécifiques de séparatisme religieux – l’étude d’impact souligne à cet égard que, même à la RATP, souvent citée comme une entreprise soumise à je ne sais quel séparatisme, le phénomène est marginal et ses manifestations très éparses –, que la casse du service public et de ses fonctionnaires à laquelle vous vous êtes livrés, et qui se traduit par un recours toujours plus important à des entreprises de droit privé ou à des contractuels. Dès lors, il faut bien que le principe de neutralité, tel que l’édicte la loi de 1905, s’applique à tous ceux qui, de facto assument des missions de service public.
Cet article ne dit rien d’autre et ne va pas au-delà, car viser telle ou telle pratique religieuse reviendrait pour l’État à établir des distinctions. Or l’État ne reconnaît pas de différence entre les religions, il ignore les religions. Les amendements que vous proposez viseraient à mettre en avant des particularités qui amèneraient à distinguer certaines religions par rapport à d’autres, ce qui est l’exact contraire de la loi de 1905.
M. le président
La parole est à M. le ministre.
M. Gérald Darmanin, ministre
Au-delà de son amendement, l’intervention de M. Breton fait clairement apparaître les divergences – normales – qui existent dans les familles politiques, puisqu’il dit à peu près l’inverse de ce qu’on dit tout à l’heure certains de ses collègues, M. de la Verpillière notamment. En l’espèce, il considère que, dans sa défense de la laïcité et de la neutralité, le projet de loi devrait, notamment pour ce qui concerne les associations, prévoir des dispositions ad hominem et expressément cibler telle ou telle forme de déviance ou de séparatisme religieux. C’est précisément là que nous avons véritablement une différence d’approche : certes, nous défendons un projet de loi qui vise à lutter avec force contre le séparatisme et singulièrement contre le séparatisme islamiste, mais nous répétons qu’il n’est pas le seul. Nous ne faisons pas la loi pour aujourd’hui, demain, après-demain, pas plus que les législateurs de 1905 n’avaient légiféré avec pour seul horizon l’année 1906 ou 1907.
Nous entendons proposer des outils permettant de lutter contre toutes les formes de remise en cause des principes de la République, mais dans le respect de l’État de droit et de la laïcité française, dont je répète qu’elle se définit par la pluralité religieuse, la liberté de culte et la neutralité de l’État et de ses agents. Cette neutralité vaut aussi bien dans le domaine religieux que dans le domaine politique – ce à quoi plusieurs amendements proposent d’ajouter le champ philosophique, quand d’autres souhaitent la limiter à la sphère religieuse, voire à la seule question de l’islamisme.
Nous défendons, nous, l’idée, qu’il ne faut pas changer la Constitution du général de Gaulle, ni toucher au préambule de 1946 issu de la Résistance, ni modifier la loi de 1905 ; en d’autres termes, nous ne voulons pas modifier les grands principes de l’État de droit, tels que nous les connaissons, au motif de mener un combat qui nous est commun.
Quoi qu’il en soit, la position de M. Breton, aussi respectable soit-elle, ne doit pas être prise pour celle de l’ensemble de son groupe ; je note, en particulier, parmi les signataires, le nom de M. Le Fur, pour qui j’ai le plus grand respect et que je considère comme un grand républicain. Or il se trouve qu’il a fait partie de ceux qui n’avaient pas voté la loi interdisant le voile à l’école…
M. Éric Coquerel
Les signes distinctifs !
M. Gérald Darmanin, ministre
Il considérait sans doute qu’il n’y avait guère de raisons d’interdire le port de vêtements religieux ou de signes distinctifs et ostensibles à l’école, dans la mesure où, dans son esprit, les croyances et la religion font également partie de la vie en société. Peut-être avons-nous une conception un peu différente ; reste que les lignes de partage dans ce débat sont subtiles, y compris au sein du groupe LR.
Monsieur Coquerel, je suis pratiquement d’accord avec vous sur de nombreux points ; néanmoins je serais moins virulent que vous, lorsque vous évoquez la casse du service public. La France insoumise ne dirige pas encore beaucoup de collectivités,…
M. Éric Coquerel
On en dirige !
M. Gérald Darmanin, ministre
…même si cela arrivera sans doute un jour. En attendant, il existe des mairies communistes qui ont des délégations de service public, et je pense que vous serez d’accord pour admettre que leurs élus n’ont pas cassé le service public pour autant.
M. Stéphane Peu
Je confirme !
M. Gérald Darmanin, ministre
Je connais même des collectivités communistes – celle où je suis né, par exemple – où l’on trouve des casinos… (Sourires. – Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.)
M. Stéphane Peu
N’exagérons rien !
M. Gérald Darmanin, ministre
Il ne faut donc pas caricaturer et opposer ceux qui aimeraient le service public et ceux qui ne l’aimeraient pas. C’est une question de gestion. J’ai, moi-même, lorsque je suis devenu maire, repris une bonne part des services en régie, ce qui devrait vous faire plaisir. Mais on sait que les transports relèvent souvent d’une délégation de service public, comme parfois les marchés et souvent les piscines. Cela n’a rien à voir avec de la casse ; c’est tout simplement que lorsqu’on gère une ville, on s’aperçoit que la réalité est bien plus complexe que l’idéologie.
Enfin, il me semble qu’en évoquant, après M. Mélenchon, un « supposé » danger islamiste, alors qu’il me semblait que nous nous accordions au moins sur le constat, vous prononcez un mot de trop. Quoi qu’il en soit, je considère que cet article 1er devrait être voté par tous les défenseurs de la laïcité.
(Les amendements identiques nos 363, 483 et 619
M. le président
Je suis saisi de trois amendements identiques, nos 362, 482, 618.
La parole est à M. Xavier Breton, pour soutenir l’amendement no 362.
M. Xavier Breton
Le ministre et M. Coquerel nous reprochent de nous référer à une seule religion, mais relisez notre amendement : il n’y est fait mention que de l’entrisme communautariste et des idéologies séparatistes – au pluriel. Vos arguments devraient donc être plus précis.
Quant à l’amendement no 362, il propose, par cohérence, de ne mentionner que le principe de neutralité, comme cela est le cas à l’article 2.
M. le président
L’amendement no 482 de M. Patrick Hetzel est défendu.
L’amendement no 618 de M. Marc Le Fur est défendu.
Quel est l’avis de la commission ?
Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure
Le principe de laïcité est effectivement indissociable du principe de neutralité et du principe d’égalité. Il nous est apparu nécessaire de le mentionner explicitement afin d’affermir la portée du principe de neutralité religieuse face à la multiplication des atteintes qu’il subit, en particulier chez les délégataires de service public. Avis défavorable.
(Les amendements identiques nos 362, 482, 618, repoussés par le Gouvernement, ne sont pas adoptés.)
M. le président
La parole est à Mme Marietta Karamanli, pour soutenir l’amendement no 985.
Mme Marietta Karamanli
Il s’agit d’inclure parmi les principes de la République, le principe d’accessibilité, sans lequel il ne saurait y avoir ni liberté, ni égalité, ni fraternité. C’est une précision indispensable pour les 12 millions de personnes en situation de handicap dans notre pays, dont 1,5 million souffrent de déficience visuelle et 850 000 ont une mobilité réduite. Dans des services publics comme les transports ou l’éducation nationale, l’accessibilité est primordiale. Il convient donc de consacrer ce principe en tant que tel dans le texte.
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure
Je comprends votre intention, mais s’il y existe un lien constitutionnel entre les principes d’égalité, de neutralité et de laïcité, je ne crois pas qu’il soit justifié d’y ajouter le principe d’accessibilité, lequel comporte de nombreuses dimensions, sociale, économique ou territoriale, qui ne sont pas directement en rapport avec notre texte. Avis défavorable.
(L’amendement no 985, repoussé par le Gouvernement, n’est pas adopté.)
M. le président
La parole est à Mme Laurianne Rossi, pour soutenir l’amendement no 2160.
Mme Laurianne Rossi
L’article 1er dispose que les organismes opérant des missions de service public sont tenus d’assurer l’égalité des usagers devant le service public et de veiller au respect des principes de laïcité et de neutralité, en prenant les mesures nécessaires à cet effet. Je propose d’aller plus loin et de préciser que ces mêmes organismes sont tenus d’en assurer le respect et d’identifier, pour les faire cesser, tous manquements à ces principes. Cette précision me paraît nécessaire pour donner plus de force à l’article 1er – c’est d’ailleurs ce qu’a demandé le Conseil d’État – et faire en sorte que, si ces organismes ne respectent pas leurs obligations, ils soient sanctionnés.
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure
Je suis souvent sensible à vos arguments, ma chère collègue, mais là, je ne comprends pas votre amendement : vous proposez de substituer aux mots « à cet effet » une formulation beaucoup plus longue mais qui veut dire exactement la même chose et n’ajoute aucune précision utile. Avis défavorable.
(L’amendement no 2160, repoussé par le Gouvernement, n’est pas adopté.)
M. le président
La parole est à Mme Nathalie Porte, pour soutenir l’amendement no 1072.
Mme Nathalie Porte
Cet amendement étend l’obligation de laïcité et de neutralité aux prestataires, sous-traitants et autres intervenants du service public – je pense à la SNCF qui, avec la crise de la covid, a dû mettre en place des procédures de nettoyage beaucoup plus lourdes, pour lesquelles elle a dû faire appel à des prestataires.
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure
Cet amendement est déjà satisfait par l’alinéa 2 de l’article 1er, qui prévoit que l’organisme auquel l’exécution d’une mission de service public a été confiée veille à ce que toute autre personne à laquelle il confie, en tout ou partie, l’exécution du service public s’assure du respect de ces obligations.
Il me semble également satisfait par les dispositions du II de l’article 1er, d’autant que le rapporteur général et moi-même vous présenterons tout à l’heure un amendement qui vise à préciser les relations avec les sous-traitants. Avis défavorable.
M. le président
Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre
Avis défavorable.
M. le président
La parole est à Mme Nathalie Porte.
Mme Nathalie Porte
Effectivement, ce point est évoqué un peu plus loin dans le texte, mais je tenais à ce qu’il apparaisse dès cet alinéa.
(L’amendement no 1072 n’est pas adopté.)
M. le président
L’amendement no 1073 de Mme Nathalie Porte est défendu.
(L’amendement no 1073, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)
M. le président
La parole est à Mme la rapporteure, pour soutenir l’amendement no 2566.
Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure
Il vise à reprendre la formulation prévue par l’article 25 de la loi no 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, afin que le périmètre de l’obligation qui s’impose aux salariés de droit privé investis d’une mission de service public soit identique à celui des fonctionnaires. C’est cohérent et logique.
M. le président
Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre
Avis favorable.
M. le président
La parole est à M. Pascal Brindeau.
M. Pascal Brindeau
Madame la rapporteure, je comprends votre souci de cohérence, mais le terme « notamment » figurant dans la loi de 1983 a trait aux obligations, droits et devoirs du fonctionnaire. Il ne me semble pas que la totalité des obligations des fonctionnaires soit applicable de manière identique aux exécutants du service public. L’introduction de ce « notamment » dans le présent texte pourrait donner lieu à une lecture qui étendrait sa portée au-delà des opinions politiques et religieuses. Quelle interprétation pourrions-nous en faire ? Surtout, quels contentieux pourraient ressortir de ce « notamment », qui élargit encore le champ des opinions politiques et religieuses ? Parlera-t-on ensuite d’opinions philosophiques, ou de l’expression même d’une opinion ? Ce serait totalement contraire à une de nos libertés fondamentales.
M. Bertrand Pancher
Très juste !
(L’amendement no 2566 est adopté.)
M. le président
La parole est à M. Xavier Breton, pour soutenir l’amendement no 936.
M. Xavier Breton
L’amendement de M. Marc Le Fur, cosigné par vingt députés, vise à apporter une précision concernant les agents participant à l’exécution des services publics. Il est question de leur interdire de manifester leurs opinions politiques ou religieuses ; on entend bien l’objectif de cette interdiction, mais on risque d’aller à l’encontre des libertés d’opinion et de croyance. Jusqu’où limiter l’expression ? Il s’agit d’être plus précis, en indiquant que l’interdiction se limiterait aux actes de prosélytisme politique ou religieux. L’expression « manifester leurs opinions politiques ou religieuses », dont on comprend l’esprit, risque d’être trop « neutralisante » et de poser des problèmes, notamment de contentieux. D’où cette proposition de meilleure rédaction.
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure
Le principe de neutralité, qui fait partie des principes constitutionnels régissant le service public, vise l’expression de toutes les opinions. Il emporte évidemment l’interdiction pour les agents de faire œuvre de prosélytisme. Plus généralement, il interdit que le service public soit assuré de manière différenciée en fonction des convictions de son personnel ou de celles des usagers. Avis défavorable.
M. le président
Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre
Même avis.
M. le président
La parole est à M. Xavier Breton.
M. Xavier Breton
Madame la rapporteure, vous ne répondez pas. Où voyez-vous que la rédaction proposée vise une exécution différenciée ? Il faut être exact. L’interdiction de toute manifestation ne sera-t-elle pas excessive par rapport à la liberté d’opinion ? C’est cela, la question !
(L’amendement no 936 n’est pas adopté.)
M. le président
L’amendement no 160 de Mme Marie-France Lorho est défendu.
(L’amendement no 160, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)
M. le président
Je suis saisi de six amendements, nos 1117, 703, 161, 1448, 984 et 1357, pouvant être soumis à une discussion commune.
Les amendements nos 161 et 1448 sont identiques, ainsi que les amendements nos 984 et 1357.
Les amendements nos 1117 de M. Stéphane Viry, 703 de M. Robin Reda et 161 de Mme Marie-France Lorho sont défendus.
La parole est à M. Éric Coquerel, pour soutenir l’amendement no 1448.
M. Éric Coquerel
Le texte initial ne faisait référence qu’aux opinions religieuses ; on y a ajouté en commission les opinions politiques. Selon nous, cela pose problème dans la mesure où une jurisprudence du Conseil d’État de 1950 inclut la question de la neutralité politique pour un fonctionnaire pendant son temps de travail, lorsqu’il est en contact avec des usagers. La jurisprudence a été renforcée par la loi de 1983 qui traite des droits et obligations des fonctionnaires, et modifiée par la loi du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires. Celle-ci prévoit qu’ils sont tenus à l’obligation de neutralité, y compris religieuse, dans l’exercice de leurs fonctions. Ces articles de loi font bien référence à la jurisprudence de 1950. L’article 1er vise à faire en sorte que les principes de neutralité déjà en cours s’appliquent aux organismes de droit privé chargés de l’exécution de la mission de service public. Pourquoi a-t-on besoin de repréciser quelque chose qui figure déjà dans le droit ?
On observe déjà une dérive inquiétante dans l’extension de cette jurisprudence vis-à-vis de fonctionnaires lorsqu’ils affirment des opinions politiques en dehors de l’exercice de leur métier ; des enseignants ont récemment eu des problèmes en ce sens. Nous ne souhaitons pas que la précision inutile figurant dans l’article 1er renforce ces dérives, constatées depuis quelque temps. Nous nous opposons donc à cet ajout. (Applaudissements sur les bancs du groupe FI.)
M. le président
La parole est à Mme Marietta Karamanli, pour soutenir l’amendement no 984.
Mme Marietta Karamanli
En proposant d’insérer le terme « philosophiques », notre amendement, inspiré par le mouvement associatif, vise à ce que la neutralité du service public ne se limite pas aux seules opinions politiques ou religieuses, au risque de les stigmatiser ; c’est pourquoi nous proposons de prévoir que la neutralité exclue également les opinions philosophiques. Celles-ci se distinguent des deux autres opinions mentionnées dans le texte ; d’une manière générale, le droit positif ne les assimile pas. À titre d’exemple, les récents décrets du 4 décembre 2020 autorisent la mention des opinions politiques, des convictions philosophiques, religieuses ou de l’appartenance syndicale des personnes inscrites dans des fichiers de sécurité ; on doit en déduire que ces différentes opinions se distinguent les unes des autres. Tel est le sens de cet amendement et la raison pour laquelle nous proposons cet ajout.
M. le président
La parole est à M. Bertrand Pancher, pour soutenir l’amendement no 1357.
M. Bertrand Pancher
Dans l’esprit de M. Charles de Courson, qui l’a déposé, il s’agissait plutôt d’un amendement d’ironie… L’article 1er démontre la volonté d’aseptiser complètement la vie sociale, y compris dans les entreprises ; il ne leur apportera rien mis à part des lourdeurs, au moment où l’on veut à l’inverse assouplir leur fonctionnement. Inscrire des concepts de laïcité dans des entreprises, c’est un peu le retour de Big Brother…
M. Xavier Breton
Très bien !
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure
Nous avons déjà eu ce débat, assez longuement, pour savoir s’il convenait ou non d’ajouter les opinions politiques, ainsi que les opinions philosophiques. Le principe de neutralité vise toutes les opinions, qu’elles soient syndicales, politiques, religieuses ou même philosophiques. Nous avions convenu d’ajouter le terme « politiques » ; je peux comprendre que cela puisse représenter une difficulté, mais c’est ce qui est issu de nos débats. Dans la mesure où le projet de loi a notamment pour objet de lutter contre une idéologie politico-religieuse, cela peut se comprendre : il peut être légitime d’ajouter le terme « politiques » pour insister sur les principes qui nous paraissent essentiels. Avis défavorable sur l’ensemble des amendements.
(Les amendements nos 1117 et 703, repoussés par le Gouvernement, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.)
(Les amendements identiques nos 161 et 1448, repoussés par le Gouvernement, ne sont pas adoptés.)
(Les amendements identiques nos 984 et 1357, repoussés par le Gouvernement, ne sont pas adoptés.)
M. le président
L’amendement no 1206 de M. Marc Le Fur est défendu.
(L’amendement no 1206, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)
M. le président
La parole est à Mme Laurence Vanceunebrock, pour soutenir l’amendement no 851.
Mme Laurence Vanceunebrock
Sensible aux discussions générales et notamment aux discours des députés occupants les bancs de la gauche, qui ont évoqué l’absence de prise en compte des discriminations dans ce texte majeur de la législature, je me propose d’y remédier. Je sais pouvoir compter sur le progressisme du groupe majoritaire et du Gouvernement pour adopter mon amendement.
L’article 1er rappelle, en les détaillant, les principes devant être respectés par les organismes chargés de l’exécution d’un service public vis-à-vis des usagers. Aussi l’égalité, la laïcité et la neutralité du service public y sont-elles inscrites. L’amendement vise à y ajouter le principe de non-discrimination, régulièrement utilisé par les institutions, notamment par le Défenseur des droits, qui rappelle souvent, dans ses travaux portant sur les thématiques liées aux services publics – comme son enquête de juin 2020 –, les situations de discrimination dont témoignent les usagers.
Ce principe de non-discrimination vise non seulement l’égalité entre les citoyens usagers du service public, mais surtout l’égalité qui doit demeurer entre eux, peu importe leur origine, leur religion, leur orientation sexuelle, leur identité de genre, etc. Il mérite ainsi d’être intégré dans l’article 1er du projet de loi – il en était d’ailleurs fait mention dans son avant-projet. Il semble en effet utile de rappeler la préoccupation d’un traitement égal de tous les usagers, sans discrimination, par les organismes chargés de l’exécution d’un service public.
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure
J’essaie souvent, peut-être à cause de mon passé de juriste, de me battre contre ce qui ne me paraît pas absolument indispensable dans un texte de loi. Le principe d’égalité devant les services publics, principe de valeur constitutionnelle, implique notamment l’égal accès des usagers aux services publics et leur égal traitement. Le principe d’égalité emporte donc l’absence de discrimination. On peut se dire qu’on ne lutte pas suffisamment contre les discriminations, mais c’est un autre débat. Les textes existent ; il n’est donc pas nécessaire, et il serait même redondant à mon sens d’ajouter cette mention. Avis défavorable.
M. le président
Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre
Même avis.
M. le président
La parole est à Mme Laurence Vanceunebrock.
Mme Laurence Vanceunebrock
On sait très bien que dans beaucoup d’administrations malheureusement, certains publics font l’objet de discriminations, en lien avec leur couleur de peau, leur religion, leur ethnie ou leur orientation sexuelle. Même si les fonctionnaires devraient se résoudre à considérer tous nos concitoyens comme égaux, le Défenseur des droits et d’autres instances n’en sont pas moins régulièrement saisis et collationnent les plaintes.
M. le président
La parole est à M. Pierre-Yves Bournazel.
M. Pierre-Yves Bournazel
Je comprends tout à fait la philosophie de l’amendement de notre collègue : il existe des discriminations importantes contre lesquelles il faut lutter. J’entends également l’argumentation de Mme la rapporteure, qui explique que l’égalité des droits des citoyens face au service public répond déjà à cette question. C’est pourquoi nous défendrons ultérieurement des amendements visant à ce que les formations à la laïcité soient complétées par des formations à la lutte contre les discriminations, que ce soit pour les enseignants, pour les agents de l’éducation nationale ou pour les personnels travaillant dans les associations. Trop souvent en effet, au sein du service public comme dans le cadre associatif, on constate la reproduction des discriminations existant dans la société, ce qui pose de réels problèmes. Il faut remettre au cœur de nos principes républicains la lutte contre les discriminations, qui représente un vrai sujet et doit être traitée comme tel.
M. le président
La parole est à M. Xavier Breton.
M. Xavier Breton
Je suis étonné d’entendre dire que les services publics pratiqueraient autant de discriminations, en France. Quelle image vous en avez ! Les fonctionnaires et agents du service public exercent leur métier du mieux qu’ils le peuvent. Le principe d’égalité existe de longue date et il faut continuer à le faire vivre, avec ses hauts et ses bas, c’est normal. Mais entendre parler ainsi du service public, c’est choquant !
M. le président
La parole est à Mme Laurence Vanceunebrock.
Mme Laurence Vanceunebrock
Sans doute la situation ne s’est-elle jamais présentée pour M. Breton, qui est un homme hétérosexuel, blanc, catholique et qui répond finalement à tous les critères qui fondent notre société judéo-chrétienne. (Vives exclamations sur les bancs du groupe LR.) Je comprends que ce soit pour lui quelque chose qu’il n’est pas possible d’entendre. (Mêmes mouvements.)
M. Fabien Di Filippo
Vous laissez passer cela, monsieur le président ? C’est un fait personnel !
Mme Laurence Vanceunebrock
Je sens que cela vous agace, mais cela me fait presque plaisir. Je sais, pour avoir travaillé en tant que fonctionnaire, que l’accueil de certaines populations dans les services publics n’est pas toujours à la hauteur de ce que l’on pourrait attendre de la fonction publique. (Exclamations sur les bancs du groupe LR.)
M. Xavier Breton
C’est inadmissible !
M. le président
Il n’y a pas eu, mes chers collègues, d’attaque personnelle notable. Il y a peut-être d’ailleurs des éléments dont Mme Vanceunebrock a connaissance, et moi pas, sur la vie personnelle de M. Breton…
M. Pierre Cordier
Que n’aurait-on entendu si nous avions dit des choses pareilles !
M. Fabien Di Filippo
Ce n’est pas parce qu’il est blanc qu’il ne peut pas comprendre les choses !
M. le président
La parole est à M. le rapporteur général.
M. Florent Boudié, rapporteur général
La meilleure façon de ne pas discriminer, c’est de ne catégoriser personne. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM et quelques bancs du groupe LR.) Il faut y veiller de façon égale entre tous.
M. Pierre-Yves Bournazel
Il y a du boulot, visiblement !
M. Florent Boudié, rapporteur général
Pour dire les choses de façon très juridique – nous sommes quand même ici pour faire le droit –, il est prévu dans le texte que, d’une part, les organismes concernés, qu’ils soient chargés d’une mission de service public par la loi, le règlement ou un contrat, devront s’assurer de l’égalité des usagers devant le service public et que, d’autre part, ils devront traiter de façon égale toutes les personnes. Nous pourrions en effet décliner toutes les sous-catégories : la non-discrimination en raison de l’orientation sexuelle, la non-discrimination entre les hommes et les femmes, etc. Mais ce qui compte, c’est la totalité du principe d’égalité. C’est cela, la noblesse des principes généraux ! Et ce sont les principes de la République que nous voulons défendre, avec vous. Ce sera donc un avis défavorable. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.)
M. Raphaël Schellenberger
Il y a des principes qui ne s’appliquent toujours pas depuis trois ans et demi !
M. le président
M. Xavier Breton, vous souhaitez réagir ; vous n’avez pas été mis en cause, mais interpellé. Vous avez la parole.
M. Xavier Breton
Je voulais juste signaler à notre collègue Laurence Vanceunebrock qu’elle avait oublié de dire que je suis marié et que j’ai eu des enfants avec mon épouse… N’allons pas nous aventurer sur ce terrain. Nous ne sommes pas ici en raison de telle ou telle qualité, mais en tant que législateurs ; à aucun moment nous ne devons faire référence à nos vies personnelles.
M. Pierre Cordier
Très bien !
M. Xavier Breton
Et si le débat commence sur ces sujets-là, cela risque de mal tourner. Faisons attention à ce que nous disons, échangeons argument contre argument et évitons les attaques personnelles, ou plutôt les considérations personnelles – je ne le prendrai pas comme une attaque –, qui n’ont rien à faire dans le débat. Je ne m’occupe pas de votre vie privée, ma chère collègue ; je vous remercie d’en faire de même. (Applaudissements sur les bancs du groupe LR et quelques bancs du groupe UDI-I.)
(L’amendement no 851 n’est pas adopté.)
M. le président
Je suis saisi de trois amendements, nos 1358, 2337 et 2248, pouvant être soumis à une discussion commune.
La parole est à Mme Jennifer De Temmerman, pour soutenir l’amendement no 1358.
Mme Jennifer De Temmerman
Cet amendement vise à préciser explicitement dans la loi que les collaborateurs occasionnels ne sont pas visés par le présent article. Nous pensons notamment aux accompagnants lors des sorties scolaires.
J’ai été enseignante et, personnellement, j’aurais préféré bénéficier par exemple de la présence d’une femme voilée accompagnant ses enfants plutôt que de n’avoir personne. En effet, quand une femme voilée participe à une sortie scolaire, cela signifie qu’elle n’a aucun problème avec l’école de la République et qu’elle s’intéresse à l’éducation de ses enfants. (Applaudissements sur les bancs du groupe LT et plusieurs autres bancs.)
M. Adrien Quatennens
Bravo !
M. le président
La parole est à Mme Souad Zitouni, pour soutenir l’amendement no 2337.
Mme Souad Zitouni
Cet amendement, de la même lignée, vise à exclure du principe de neutralité les collaborateurs occasionnels du service public. L’objectif est d’en finir avec toutes les hésitations que l’on peut avoir sur la notion de collaborateur physique et aussi avec la jurisprudence administrative qui ne donne pas de définition précise en la matière : ou bien il est usager, ou bien il est agent administratif. Le collaborateur occasionnel n’est pas un fonctionnaire et le principe de neutralité, qui ne vaut que pour les agents de l’État, la maison de l’État, ne doit pas lui être appliqué.
Je l’ai constaté également, pour ces femmes voilées, cette collaboration ponctuelle est peut-être la seule occasion de participer à la vie en société et d’être en contact avec la République. Leur demander d’enlever leur voile sous prétexte qu’elles ne respecteraient pas la République conduirait à les mettre de côté, à les discriminer.
M. Julien Ravier
Ce serait si grave que ça de l’enlever une fois ?
Mme Souad Zitouni
Cela risquerait même d’avoir des conséquences très néfastes sur leurs enfants qui pourraient nourrir un ressentiment très violent vis-à-vis de la République. C’est la raison pour laquelle je souhaite que les collaborateurs occasionnels soient exclus, de manière ferme et précise, sachant que la jurisprudence n’est pas claire sur la question.
M. Yves Hemedinger
C’est l’inverse !
M. le président
La parole est à Mme Sonia Krimi, pour soutenir l’amendement no 2248.
Mme Sonia Krimi
Il est défendu. J’ajouterai simplement que je préfère mille fois une femme voilée qui travaille à une femme voilée qui reste chez elle. (Exclamations sur les bancs du groupe LR.)
M. Philippe Meyer
Ce n’est pas le sujet !
M. Julien Ravier
Si elle ne va pas travailler à cause du voile, c’est grave !
M. le président
Mes chers collègues, je crois avoir compris tout à l’heure que vous souhaitiez que la position défendue par votre groupe soit respectée ; vous pouvez comprendre que l’on attende la même exigence lorsqu’il s’agit d’un amendement qui ne vous est pas tout à fait favorable.
Quel est l’avis de la commission sur ces trois amendements ?
Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure
Je souhaite rappeler la position développée par le Conseil d’État dans une étude du 19 décembre 2013 menée à la demande du Défenseur des droits, sur laquelle nous reviendrons sans doute de façon plus détaillée après l’article 1er. Dans sa position, qu’il voulait descriptive et non normative – il y a une différence –, il a retenu qu’entre l’agent public et l’usager, la loi et la jurisprudence n’avaient pas identifié de troisième catégorie de collaborateurs ou de participants au service public qui serait soumise, en tant que telle, à l’exigence de neutralité religieuse. Or vous ne vous bornez pas à transposer cette étude dans la loi : alors que le Conseil d’État n’identifiait pas de catégorie de collaborateurs ou participants occasionnels, vos amendements en identifient bel et bien une, pour préciser ensuite qu’elle doit être exclue de l’obligation de respecter le principe de neutralité.
J’ajoute que le Conseil d’État avait précisé que, s’agissant de ces collaborateurs assimilés aux usagers, des restrictions à la liberté de manifester des opinions religieuses pouvaient résulter soit de textes particuliers, soit de considérations liées à l’ordre public ou au bon fonctionnement du service. Les amendements déposés ne prévoient même pas de telles restrictions. Pour toutes ces raisons, j’émets un avis défavorable.
M. le président
Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre
Même avis.
M. le président
La parole est à M. Stéphane Peu.
M. Stéphane Peu
Je comprends ces amendements. Je constate d’ailleurs, même si je n’aime pas trop faire des remarques de ce genre, que ce sont des collègues féminines qui les ont défendus ; ce n’est pas si étonnant.
M. Boris Vallaud
Il y a un amendement de Charles de Courson !
M. Stéphane Peu
Oui, mais il a été défendu par notre collègue Jennifer De Temmerman.
Je souscris également à l’argumentation de Mme la rapporteure. Même si l’on est inspiré par la meilleure volonté du monde, il faut veiller à ne pas faire naître une fragilité. Je crois, bien sûr, à la meilleure volonté exprimée par vos amendements ; mais en créant une troisième catégorie, entre l’agent et l’usager du service public, on ouvre un débat qui pourrait, demain, se retourner contre cette nouvelle catégorie. C’est pourquoi je comprends fort bien vos amendements, qui partent d’une volonté d’ouverture manifeste à laquelle je souscris, mais je voterai contre pour les raisons énoncées par la rapporteure. (Mmes Marie-George Buffet et Bénédicte Pételle applaudissent.)
M. le président
La parole est à M. Éric Coquerel.
M. Éric Coquerel
Je rejoins les arguments de Stéphane Peu. Je partage, certes, la préoccupation des collègues qui défendent ces amendements et je pense que, ultérieurement, nous refuserons ensemble des amendements qui réclament exactement l’inverse.
Mais je rappelle que les collaborateurs occasionnels ne sont pas une catégorie sujette à des obligations statutaires, n’étant pas chargés de l’exécution de missions de service public. Mme la rapporteure a fait état de l’étude du Conseil d’État du 19 décembre 2013 qui précisait qu’il n’y avait pas de catégorie juridique pertinente entre l’agent et l’usager du service public. Prévoir que ces personnes soient exclues de la loi par exception tendrait à laisser supposer qu’elles seraient bien susceptibles d’exercer un rôle de service public, autrement dit à entrouvrir une porte dans laquelle s’engouffreraient ceux qui entendent leur appliquer le principe de neutralité. C’est la raison pour laquelle je ne voterai pas ces amendements, tout en en partageant la préoccupation qui les anime.
M. le président
La parole est à Mme Souad Zitouni.
Mme Souad Zitouni
Je comprends l’argumentation de Mme la rapporteure, tout comme les propos de mes collègues. Mon amendement visait à répondre à une inquiétude, précisément parce que la jurisprudence n’est pas tout à fait claire sur le sujet : une fois usager, une fois agent auxiliaire, il y a de quoi s’interroger. Mais là où vous avez raison, cher collègue Peu, c’est qu’en voulant préciser les choses, on risque de les limiter et, à un moment donné, d’en arriver à des blocages, ce qui pourrait être dangereux dans les situations que nous rencontrons tous au sein de nos circonscriptions.
Vous m’avez rassurée : je sais que vous serez vigilants lorsqu’il vous sera proposé d’exclure toutes les personnes qui voudront manifester leur religion. C’est la raison pour laquelle je vais retirer mon amendement. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.)
(L’amendement no 2337 est retiré.)
M. le président
La parole est à M. Boris Vallaud.
M. Boris Vallaud
Je ne dirai guère autre chose : il est bon de rappeler que les usagers d’un service public, ce que sont les mères accompagnatrices, ne sont pas assujettis au principe de neutralité. Il s’agit d’une catégorie fonctionnelle de collaborateurs occasionnels, inventée à la fin du XIXe siècle par la jurisprudence sur la théorie du risque, tout simplement. Il ne faut surtout pas créer une catégorie de droit nouvelle, qui pourrait les fragiliser à la faveur d’une alternance : l’ordre républicain placé entre de mauvaises mains conduit au désordre.
Nous examinerons tout à l’heure les amendements déposés pour, à l’inverse, interdire la participation de mères accompagnatrices lorsqu’elles sont voilées. Il est important de souligner qu’il n’y a aucune leçon de République ni de fraternité dans les propositions qui viendront des bancs d’en face.
Je comprends parfaitement l’intention, je la partage, mais restons fidèles à ce qu’est la laïcité.
M. le président
La parole est à M. Pascal Brindeau.
M. Pascal Brindeau
Ces amendements ont le mérite de mettre en avant une fragilité du texte, qui apparaît d’ailleurs de façon récurrente : nous l’avons rencontrée précédemment dans la notion de contrat, nous la retrouvons pour les agents occasionnels du service public. Comme l’ont expliqué Stéphane Peu, Éric Coquerel et Boris Vallaud, prendre le risque de créer la sous-catégorie des agents occasionnels du service public, c’est prendre le risque d’exclure, demain, un certain nombre de personnes. J’entends vos arguments, madame la rapporteure, mais le Conseil d’État a bien pris soin de ne pas entrer dans une qualification normative. Quoi qu’il en soit, le problème reste devant nous. Peut-être la rédaction des amendements n’est-elle pas opportune parce qu’elle crée une sous-catégorie ; sans doute un travail d’écriture légistique supplémentaire s’imposera-t-il durant les navettes.
(Les amendements nos 1358 et 2248, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.)
M. le président
La parole est à Mme Jennifer De Temmerman, pour soutenir l’amendement no 1356.
Mme Jennifer De Temmerman
Les sanctions encourues par les salariés qui ne respectent pas l’obligation de neutralité, et qui manifestent leurs opinions politiques ou religieuses, ne sont pas détaillées dans l’article 1er. Notre amendement vise à inscrire explicitement dans la loi un dispositif de sanction applicable aux salariés des organismes effectuant une mission de service public et qui manifesteraient leurs opinions politiques et religieuses.
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure
L’article 1er n’a pas pour objet de prévoir des sanctions, mais d’inscrire dans la loi un principe affirmé par le Conseil d’État et la Cour de cassation : le fait que le service public soit confié à une personne privée ne change pas la nature des obligations inhérentes à l’exécution du service public.
Une fois encore – la répétition a des vertus pédagogiques… –, l’objet de cet article est également de renforcer les moyens mis à la disposition de l’autorité administrative pour contrôler les obligations qui en découlent. L’enjeu n’est nullement de prévoir des sanctions, dont la définition est renvoyée par l’alinéa 4 de l’article 1er
(L’amendement no 1356, repoussé par le Gouvernement, n’est pas adopté.)
M. le président
La parole est à Mme Jennifer De Temmerman, pour soutenir l’amendement no 1364.
Mme Jennifer De Temmerman
J’ai entendu vos arguments, madame la rapporteure, mais ce texte se contente-t-il de faire de l’affichage, ou se veut-il opérationnel ? Les dispositifs de sanction doivent être inscrits dans la loi : tel est l’objet de mon amendement. Notre rôle, en tant que législateur, est bien de définir les modalités de sanction ; nous ne pouvons pas confier sans cesse notre travail à d’autres.
(L’amendement no 1364, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)
M. le président
Je suis saisi de deux amendements identiques, nos 935 et 2610.
La parole est à M. Xavier Breton, pour soutenir l’amendement no 935.
M. Xavier Breton
Déposé par Marc Le Fur, il vise à préciser que les dispositions de l’article 1er ne doivent pas faire obstacle au respect du principe d’indépendance des enseignants-chercheurs dans l’exercice de leurs fonctions d’enseignement. Rappelons que cette indépendance a été consacrée comme principe fondamental reconnu par les lois de la République dans une décision du Conseil constitutionnel de 1984. Cette précision est importante pour rassurer les enseignants-chercheurs quant à leur indépendance dans l’exercice de leurs missions et de leurs fonctions.
M. le président
La parole est à M. Frédéric Reiss, pour soutenir l’amendement no 2610.
M. Frédéric Reiss
Cet amendement de Patrick Hetzel a le même objet : le principe d’indépendance des enseignants-chercheurs dans l’exercice de leurs fonctions d’enseignement et de leurs activités de recherche est affirmé à l’article L. 952-2 du code de l’éducation et consacré comme un principe fondamental reconnu par les lois de la République et par le juge constitutionnel.
M. le président
Quel est l’avis de la commission sur ces amendements ?
Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure
Monsieur Hetzel, je ne vois pas en quoi le principe de neutralité et le principe d’indépendance des enseignants-chercheurs entreraient en contradiction.
M. Patrick Hetzel
Eh bien, si !
Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure
Le fait que la liberté d’enseignement ait été reconnue comme un principe fondamental par les lois de la République impose le respect du principe d’indépendance des enseignants-chercheurs, sans qu’il soit nécessaire de prévoir une exception à l’article 1er. Je ne peux donc qu’émettre un avis défavorable sur ces deux amendements.
M. le président
Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre
Défavorable.
M. le président
La parole est à M. Patrick Hetzel.
M. Patrick Hetzel
Il est dommage que vous émettiez un avis négatif, pour une raison très simple : si nous défendons ces amendements, c’est parce qu’à plusieurs reprises, notamment lorsque nous avons débattu du projet de loi de programmation de la recherche, nous avons constaté que la question se posait. Malheureusement, le Gouvernement se montre une nouvelle fois insensible aux arguments des enseignants-chercheurs. Des garanties doivent leur être données ; vous vous y refusez, et c’est bien dommage.
M. le président
La parole est à M. Boris Vallaud.
M. Boris Vallaud
Je soutiens ces amendements. La précision qu’ils visent à apporter pourrait faire obstacle à certaines demandes de missions d’information, comme celle de MM. Abad et Aubert sur les dérives intellectuelles idéologiques dans les milieux universitaires. Si ces amendements sont une occasion pour les Républicains d’afficher leur attachement à l’indépendance de la recherche académique, je les soutiendrai.
M. Pierre Cordier
Très bien !
(Les amendements identiques nos 935 et 2610 ne sont pas adoptés.)
M. le président
Les amendements nos 162 de Mme Marie-France Lorho et 333 de Mme Emmanuelle Ménard sont défendus.
(Les amendements nos 162 et 333, repoussés par la commission et le Gouvernement, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.)
M. le président
La parole est à Mme Emmanuelle Ménard, pour soutenir l’amendement no 1109.
Mme Emmanuelle Ménard
Céder sur le port du voile dans l’espace public, c’est en réalité céder sur tout. Le voile islamique n’est pas seulement un bout de tissu, c’est l’expression d’un projet politique : il traduit la volonté de changer notre mode de vie à la française. Il est aussi un signe de soumission des femmes aux hommes. Ce voile, c’est l’expression de la fragmentation de notre société. Il faut donc lutter contre le port du voile islamique dans le domaine public, plus particulièrement lorsqu’on touche à l’accompagnement des enfants dans le cadre scolaire ou périscolaire – notamment quand des mamans accompagnent des sorties scolaires. Tel est l’objet de mon amendement.
Non, le voile islamique n’est pas la norme. (Exclamations de Mme Sonia Krimi.) Partout dans le monde, des femmes sont brimées – et parfois enfermées – parce qu’elles se battent pour que d’autres femmes aient le droit de ne pas porter le voile. Je souhaite rendre hommage à l’avocate iranienne Nasrin Stoudeh, qui a été condamnée en 2019 à dix ans de prison supplémentaires et à 148 coups de fouet pour « incitation à la débauche », tout simplement pour s’être présentée en public sans son voile.
Mme Souad Zitouni
On n’est pas en Iran !
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure
Votre exposé sommaire exprime clairement ce que votre amendement n’énonce pas expressément : ce sont bien les accompagnatrices scolaires qui sont visées. Il n’est jamais souhaitable qu’un texte de loi ne soit pas directement compréhensible. L’article 1er a bien pour objet d’imposer le respect des principes d’égalité, de neutralité et de laïcité aux délégataires de service public, et non aux personnes directement concernées par les activités scolaires et périscolaires. Par conséquent, mon avis est défavorable.
M. le président
Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre
Même avis.
M. le président
La parole est à Mme Marie-George Buffet.
Mme Marie-George Buffet
Tout à l’heure, à propos d’un autre amendement, nous avons montré qu’en la matière, il fallait distinguer les agents du service public d’une part, et les usagers d’autre part : le devoir de neutralité et de laïcité des premiers ne s’applique pas de la même façon aux seconds.
Chère collègue, pourquoi parlez-vous du voile ? Pourquoi n’évoquez-vous pas tous les signes religieux que pourraient arborer les usagers ? (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.) Pourquoi visez-vous ces femmes-là ? Pourquoi ne parlez-vous pas des autres ? Il faut le dire : vous visez une religion, madame Ménard, vous ne visez pas la laïcité. (Mêmes mouvements.)
Mme Souad Zitouni
Bravo !
M. le président
La parole est à Mme Emmanuelle Ménard.
Mme Emmanuelle Ménard
Si je vise le voile islamique, c’est tout simplement parce qu’il constitue un signe de soumission et un signe politique. Je ne crois pas que porter une croix autour du cou soit un signe de soumission à l’homme – ou alors, je n’ai pas compris la religion catholique !
M. Pierre Cordier
Très bien !
Mme Emmanuelle Ménard
Je ne crois pas que porter une kippa soit un signe de soumission à la femme ou à l’homme. Voilà la différence ! Devant vous qui êtes féministe, madame Buffet, je tiens une fois encore à rendre hommage à toutes les femmes qui, dans le monde entier, se battent pour avoir le droit de ne pas porter le voile.
M. Pacôme Rupin
Elles peuvent aussi avoir le droit de le porter !
Mme Emmanuelle Ménard
Contrairement à vous, j’estime que les mamans qui accompagnent les sorties scolaires ne sont pas des usagères du service public. Dès lors qu’elles accompagnent une sortie scolaire, elles ont un rôle d’accompagnantes bénévoles du service public et doivent respecter certains principes.
Mme Souad Zitouni
C’est déjà le cas, madame !
Mme Sonia Krimi
Vous pariez sur la haine !
M. le président
J’informe l’Assemblée qu’il reste moins d’une minute de parole aux députés non inscrits jusqu’à la fin de l’examen du texte.
M. Pierre Cordier
C’est vraiment du sadisme !
(L’amendement no 1109 n’est pas adopté.)
M. le président
L’amendement no 2249 de Mme Sonia Krimi est défendu.
(L’amendement no 2249, ayant reçu un avis défavorable de la commission et du Gouvernement, est retiré.)
M. le président
Je suis saisi de deux amendements identiques, nos 1367 et 2332.
La parole est à Mme Jennifer De Temmerman, pour soutenir l’amendement no 1367.
Mme Jennifer De Temmerman
Il vise à supprimer l’alinéa 3 introduit en commission spéciale, dont la rédaction nous semble peu claire, trop large et susceptible d’englober des acteurs qui ne participent pas à l’exécution d’une mission de service public.
M. le président
L’amendement no 2332 de M. Mustapha Laabid est défendu.
Quel est l’avis de la commission sur ces amendements ?
Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure
Mon avis est défavorable sur ces amendements qui visent à supprimer l’alinéa 3 relatif aux services de transport à la personne. Contrairement à vous, madame De Temmerman, je trouve que la mention ajoutée par la commission spéciale permet d’affirmer sans ambiguïté que ces services, dès lors qu’ils participent à l’exécution d’une mission de service public, doivent veiller au respect, par leurs salariés, des principes d’égalité et de neutralité.
(Les amendements identiques nos 1367 et 2332, repoussés par le Gouvernement, ne sont pas adoptés.)
M. le président
La parole est à M. Éric Pauget, pour soutenir l’amendement no 704.
M. Éric Pauget
Cet amendement proposé par notre collègue Robin Reda vise à inscrire les bailleurs sociaux publics et privés dans l’article 1er, à l’instar des entreprises de transport publiques ou privées, et de les soumettre aux mêmes principes de neutralité et de laïcité que ces dernières.
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure
Je vous remercie d’avoir présenté cet amendement, auquel la commission est favorable.
M. le président
Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre
Le Gouvernement est également favorable à cet amendement. Il s’agit de poursuivre le débat que nous avons eu en commission spéciale. À coup sûr, les offices HLM remplissent une mission de service public et ils sont présents dans des territoires où il peut y avoir des difficultés. Je sais qu’ils font des efforts très importants.
M. Philippe Vigier
Très bien !
M. Gérald Darmanin, ministre
Pour avoir été élu, comme certains d’entre vous ici, je sais que les dirigeants mettent en place ce principe de neutralité et qu’ils l’appliquent. Je sais aussi que s’il existe plusieurs types d’organismes – publics, parapublics et privés –, tous ont une mission de service public : construire et gérer le logement social. Peut-être cet amendement sera-t-il sous-amendé avec la majorité et l’opposition sénatoriale après consultation des bailleurs, pour que la neutralité soit appliquée de manière stricte et dans de bonnes conditions.
M. le président
La parole est à M. Boris Vallaud.
M. Boris Vallaud
Les organismes HLM sont déjà soumis à une obligation de neutralité dès lors qu’ils ont une mission de service public. Ils ont fait un travail important : je vous renvoie au guide réalisé à destination de leurs adhérents qui précise bien les choses de ce point de vue et formule un certain nombre de recommandations. Ne laissons pas penser que les organismes HLM ne se seraient pas saisis de cette question.
M. le président
La parole est à M. Stéphane Peu.
M. Stéphane Peu
Je n’ai pas d’objection à cet amendement, mais il est en grande partie satisfait, et de fait inutile. Si un avis du Conseil d’État de 1987 faisait la distinction entre les offices publics qui avaient une mission de service public et les sociétés anonymes ou coopératives qui ne l’avaient pas, tout cela a été largement corrigé depuis : un autre avis du Conseil d’État de juillet 1992 a assimilé tous les organismes HLM, quel que soit leur statut – privé, public, ou coopératif –, à des missions de service public. C’est ce qu’a réaffirmé le Conseil constitutionnel dans son avis sur la loi de 2009 de mobilisation pour le logement et la lutte contre l’exclusion. La jurisprudence est même allée jusqu’à distinguer les obligations de neutralité des gardiens des parcs HLM suivant qu’ils sont en train de travailler dans les bâtiments ou qu’ils sont dans leur logement de fonction, celui-ci ayant été considéré comme un espace privé. Autrement dit, tous les cas sont couverts.
L’amendement ne rajouterait donc rien à ce qui existe aujourd’hui, mais si vous tenez absolument à apporter cette précision dans la loi, nous ne nous y opposerons pas. Il faut savoir que les organismes HLM ne vivent pas forcément très bien cet amendement…
M. Boris Vallaud
Exactement !
M. Stéphane Peu
…dans la mesure où ils ont fait beaucoup d’efforts et que la jurisprudence est très claire. D’ailleurs, on n’a pas relevé de problème significatif de ce type parmi les personnels des organismes HLM.
M. le président
La parole est à M. Guillaume Vuilletet.
M. Guillaume Vuilletet
Nous allons évidemment soutenir la position de la commission et du Gouvernement sur cet amendement, mais je souhaite apporter quelques précisions, d’ailleurs assez conformes à ce qui vient d’être dit.
Un effort considérable a en effet été fait par le monde HLM sur la question de la laïcité : il a effectivement publié, au mois de septembre dernier je crois, un guide remarquable. Il me semble donc que la chose est pour une grande part satisfaite. Je laisserai à cet amendement une chance d’aboutir car il faut vérifier s’il ne reste pas un petit trou dans la raquette. C’est ce que permettra sans doute le travail au Sénat. Tout cela est cohérent avec l’amendement qu’avait proposé notre collègue Rossi.
M. le président
La parole est à M. le ministre.
M. Gérald Darmanin, ministre
Je remercie chacune et chacun de laisser sa chance à cet amendement.
Monsieur Peu, je ne suis pas tout à fait d’accord avec vous. Cet amendement n’est pas inutile parce que l’étude d’impact excluait les sociétés privées. Les offices publics doivent bien sûr appliquer le devoir de neutralité. Comme vous le savez, plusieurs types d’offices, de sociétés interviennent au nom des HLM, ce qui n’est pas toujours très clair dans l’esprit des citoyens. Je pense que l’amendement de M. Reda tombe à point nommé. On le sous-amendera au Sénat, comme je l’ai dit précédemment, dans une concertation à laquelle le groupe La République en marche nous avait invités.
(L’amendement no 704 est adopté.)
M. le président
L’amendement no 2524 de Mme Laurence Vichnievsky est rédactionnel.
(L’amendement no 2524, accepté par le Gouvernement, est adopté.)
M. le président
La parole est à Mme Jennifer De Temmerman, pour soutenir les amendements nos 776, 779, 787 et 807, qui peuvent faire l’objet d’une présentation groupée.
Mme Jennifer De Temmerman
Comme vous ne voulez pas supprimer l’alinéa 3, nous vous proposons de préciser par ces quatre amendements de quels transports il s’agit.
M. le président
Quel est l’avis de la commission sur ces quatre amendements ?
Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure
Ces amendements qui visent successivement les transports ferroviaires, aériens, maritimes et routiers me semblent inopportuns car ils ne précisent pas que ces obligations s’appliquent seulement s’ils participent à l’exécution du service public. Avis défavorable.
M. le président
Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre
Même avis.
M. le président
La parole est à Mme Cécile Rilhac.
Mme Cécile Rilhac
Je ne suis pas favorable à ces amendements. Toutefois, l’alinéa 3, qui a trait aux services de transport à la personne librement organisés ou non conventionnés, soulève effectivement quelques problèmes. Les taxis qui transportent des enfants en situation de handicap ou des personnes âgées dans certaines communes sont-ils assimilés à des missions de service public ? L’alinéa 3 introduit en commission est peut-être un peu trop large : il pourrait s’appliquer à des véhicules de tourisme avec chauffeur – VTC – à des chauffeurs Uber, des ambulanciers ou des taxis. Il serait donc bon de lever toute ambiguïté en la matière.
(Les amendements nos 776, 779, 787 et 807, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.)
M. le président
La parole est à M. Jean-Paul Mattei, pour soutenir l’amendement no 1220.
M. Jean-Paul Mattei
C’est un amendement que je qualifierai presque de rédactionnel. L’alinéa 4 de l’article 1er indique : « Les dispositions réglementaires applicables à ces organismes précisent, le cas échéant, les modalités de contrôle et de sanction des obligations mentionnées au présent I. » Il semble maladroit de maintenir les mots « le cas échéant ». S’il y a des obligations, celles-ci doivent être prévues.
M. Bruno Millienne et M. Philippe Vigier
Très juste !
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure
Il faut autant que faire se peut supprimer de nos lois ces formules édulcorantes qui retirent aux textes l’essentiel de leur caractère normatif. Avis favorable.
M. le président
Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre
Sagesse.
(L’amendement no 1220 est adopté.)
M. le président
La parole est à M. Éric Pauget, pour soutenir l’amendement no 79.
M. Éric Pauget
Avec cet amendement, je reviens sur un sujet que nous avons déjà abordé : l’élargissement du principe de neutralité et de laïcité aux personnes qui participent à l’élaboration d’un service public. Lorsque l’on est co-acteur de l’élaboration d’un service public, que ce soit à titre salarié ou bénévole, occasionnel ou non, et que de surcroît l’on répond à une sollicitation lorsque l’on est invité à participer à l’élaboration d’un service public, le principe de neutralité doit s’appliquer.
M. Pierre Cordier
Il a raison !
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure
Cet amendement est le seul, dans la liste des amendements à l’article 1er, à poser la question du domaine d’application du principe de neutralité à partir des personnes physiques assujetties et non, comme le fait le projet de loi, à partir des entités, organismes de droit public ou de droit privé, titulaires du contrat de la commande publique, qui participent à l’exécution du service public. En ce sens, il fait débat. Malheureusement, sa rédaction m’empêche de le prendre en considération. Évidemment, les autorités diplomatiques des puissances étrangères n’ont rien à voir avec les principes qui gouvernent notre service public ; et ce n’est pas la mission du service public qui est ou non bénévole, mais la participation à cette mission de la personne concernée.
Pour toutes ces raisons qui ne tiennent pas pour l’essentiel au fond que nous aborderons ultérieurement, la commission a émis un avis défavorable.
M. le président
Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre
Même avis.
(L’amendement no 79 n’est pas adopté.)
M. le président
La parole est à Mme Coralie Dubost, pour soutenir les amendements nos 1892 et 1893, qui peuvent faire l’objet d’une présentation groupée.
Mme Coralie Dubost
L’amendement n° 1892 est un amendement de précision qui s’inscrit dans le sens de l’article 1er. Il suit les recommandations du Conseil d’État quant à l’amélioration de la précision du champ d’application des contrats de la commande publique. Il propose de signifier très spécifiquement, pour éviter toute question de constitutionnalité sur la liberté contractuelle des opérateurs économiques, des acheteurs et des autorités concédantes, de le confier strictement à l’exécution du service public de droit privé pour ceux dont c’est un objet même, et donc, par ricochet, d’en exclure ceux pour lesquels les marchés publics de travaux de fourniture de services ne servent qu’à la réalisation des missions de service public mais n’ont pas pour objet même la mission de service public.
L’amendement no 1893 est un amendement de repli. Il propose, par souci de précision, de reprendre la formulation utilisée à l’alinéa 1 de l’article 1er, en l’occurrence le verbe « confier », ce qui clarifie la situation et va, me semble-t-il dans le sens de l’objectif que M. le ministre nous rappelle depuis le début de la discussion de ce texte.
Je tiens à remercier la faculté de droit de Montpellier, notamment les étudiants du magistère de droit public, qui ont participé à l’écriture de ces amendements.
M. le président
Quel est l’avis de la commission sur ces deux amendements ?
Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure
Je comprends votre souci de vouloir préciser, mais comme nous l’avons déjà dit, l’article 1er pose un principe général qui, contrairement à ce qu’a dit un orateur, est clair. Il appartient au législateur de fixer le principe, et ensuite à la jurisprudence de le définir. On ne peut jamais lister de manière exhaustive ; plus on dresse une liste, plus on limite la portée d’un article d’une manière générale.
Avec l’amendement n°1892, vous souhaitez exclure les marchés publics – l’article L. 2 du code de la commande publique visant les marchés publics – et les concessions. Je ne vois pas pourquoi on exclurait a priori les marchés publics. C’est à la jurisprudence d’apprécier lesquels constituent l’exécution d’une mission de service public.
Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure
Si vous faites référence aux contrats de fourniture qui ne mettent pas les salariés directement en présence des usagers, ce sont évidemment les critères définis depuis longtemps par la jurisprudence qui s’appliquent. Je ne vois pas pourquoi on exclurait a priori les marchés publics, à moins que l’on ne veuille restreindre d’emblée la portée d’un article, dont l’objet, je le répète, est de consacrer le principe de neutralité appliqué aux délégataires de missions de service public. Il me paraît donc préférable de conserver la rédaction de l’article 1er. Avis défavorable.
S’agissant de l’amendement no 1893, je précise que l’objet du contrat est bien l’exécution du service public – il ne s’agit pas « de confier » l’exécution du service public à un cocontractant. Pour cette raison, ce sera également un avis défavorable.
M. le président
Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre
Je voudrais dire à Mme Dubost et à ceux qui l’ont aidée à rédiger ces amendements qu’il ne semble pas souhaitable d’introduire les dispositions que vous proposez dans le projet de loi car, outre les raisons exposées par Mme la rapporteure, préciser les choses fragiliserait le dispositif que nous souhaitons mettre en place.
J’en profite pour dire à Mme Sonia Krimi, qui s’est exprimée dans la discussion générale et sur l’article 1er que, bien évidemment, il ne s’agit pas d’étendre les principes de neutralité à l’intégralité des sociétés qui travaillent avec le service public, mais seulement à celles qui concourent au service public.
Mme Krimi a cité le cas des femmes de ménage dans les trains ; j’évoquerai celles qui, à sept heures, six heures, voire cinq heures du matin, lavent les escaliers ou l’entrée d’une mairie. Elles ont un métier fort pénible et fort utile, mais elles ne concourent pas directement à une mission de service public en tant que telle. Ce texte ne s’appliquera pas aux sociétés, sélectionnées après un appel d’offres, qui les emploient, quand bien même ce service aurait pu être assuré en régie directe par les employés municipaux. Il s’appliquera en revanche à tout ce qui concourt directement au service public. Ainsi, dans le cas d’une délégation de service public, si, par exemple, une mairie « privatise », au sens de gauche du terme, son accueil, les agents d’accueil devraient être attentifs à la neutralité.
Il y a donc une distinction à opérer et, comme Mme la rapporteure l’a rappelé, c’est au juge administratif qu’il revient de distinguer entre ce qui relève d’une mission de service public et ce qui n’en relève pas, ce qui est assez compliqué. Comme vous le savez, on débat depuis très longtemps, notamment au Conseil d’État, des éléments qui définissent la mission de service public. Est-ce la composition d’un conseil d’administration selon que l’État ou les collectivités locales y sont plus ou moins représentés ? Est-ce une question de financement ou de prérogatives de puissance publique ? Cela amène à se fonder sur un « faisceau d’indices ».
C’est pourquoi je pense qu’il faut s’en tenir au principe général évoqué par la rapporteure. Je donne un avis défavorable aux deux amendements.
M. le président
La parole est à Mme Coralie Dubost.
Mme Coralie Dubost
Je vous remercie, monsieur le ministre, madame la rapporteure, pour vos explications mais il reste un point d’interrogation car un marché public n’est pas une délégation de service public. Il me semble compliqué de poser un principe général de neutralité pour les délégations de service public en visant la totalité des marchés publics. On doit opérer un distinguo, et si le législateur ne souhaite pas apporter de précisions en la matière, la jurisprudence sera effectivement tenue de le faire. Je trouve simplement dommage que ce ne soit pas cet hémicycle qui s’en charge.
(Les amendements nos 1892 et 1893, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.)
M. le président
L’amendement no 705 de M. Robin Reda est défendu.
(L’amendement no 705, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)
M. le président
L’amendement no 164 de Mme Marie-France Lorho est défendu.
(L’amendement no 164, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)
M. le président
Les amendements identiques nos 165 de Mme Marie-France Lorho et 1450 de M. Éric Coquerel sont défendus.
(Les amendements identiques nos 165 et 1450, repoussés par la commission et le Gouvernement, ne sont pas adoptés.)
M. le président
L’amendement no 1207 de M. Marc Le Fur est défendu.
(L’amendement no 1207, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)
M. le président
L’amendement no 163 de Mme Marie-France Lorho est défendu.
(L’amendement no 163, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)
M. le président
La parole est à Mme Jennifer De Temmerman, pour soutenir l’amendement no 1368.
Mme Jennifer De Temmerman
Il s’agit une fois encore de préciser les sanctions applicables en cas de non-respect des obligations mentionnées dans cet article. Nous présenterons d’autres amendements dans ce sens.
(L’amendement no 1368, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)
M. le président
Je suis saisi de trois amendements identiques, nos 364, 484 et 621.
La parole est à M. Xavier Breton, pour soutenir l’amendement no 364.
M. Xavier Breton
Conformément à ce que le Conseil d’État a souligné dans son avis sur le projet de loi, il s’agit d’indiquer expressément que les dispositions de l’alinéa 5 « n’ont pas pour objet et ne sauraient avoir pour effet d’écarter un candidat à la passation d’un tel contrat au seul motif qu’il s’agirait d’un organisme, d’une association ou d’une personne morale relevant d’une autre catégorie se réclamant d’un courant de pensée ou d’inspiration confessionnelle ». Il est important de le préciser pour écarter toute ambiguïté à ce sujet.
M. le président
La parole est à M. Patrick Hetzel, pour soutenir l’amendement no 484.
M. Patrick Hetzel
Cet amendement vise à compléter l’alinéa 5, qui indique clairement qu’il faut s’abstenir de manifester des opinions politiques ou religieuses, avec le risque d’exclure l’ensemble des associations, ce qui serait problématique. C’est la raison pour laquelle nous insistons pour que le texte soit modifié en conséquence. Si ce n’est pas le cas, il faudrait que le Gouvernement nous explique pourquoi il souhaite maintenir cette rédaction.
M. le président
La parole est à M. Pierre Cordier, pourvu qu’il veuille bien interrompre sa conversation quelques instants pour soutenir l’amendement no 621. (Sourires.)
M. Pierre Cordier
Défendu !
M. le président
Quel est l’avis de la commission sur les trois amendements identiques ?
Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure
Avis défavorable. La rédaction de l’article 1er est suffisamment explicite pour qu’il ne soit pas nécessaire d’ajouter que ses dispositions n’ont pas pour objet et ne sauraient avoir pour effet d’écarter un candidat à la passation de tels contrats au seul motif qu’il s’agirait d’un organisme, association ou autre, se réclamant d’un courant de pensée ou d’inspiration confessionnelle. Ce n’est évidemment pas notre intention, mais ce n’est pas mon affirmation qui compte, c’est la rédaction de l’article 1er.
M. le président
Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre
Si j’ai bien compris, vos amendements visent à permettre à des associations d’inspiration confessionnelle de répondre à un certain nombre d’appels d’offres des pouvoirs publics.
Pour commencer, « inspiration confessionnelle », on ne sait pas très bien ce que ça veut dire en droit : cette catégorie n’a pas d’existence juridique. C’est une première raison pour ne pas adopter ces amendements.
Ensuite, cela voudrait dire que ces associations seraient obligées d’appliquer le principe de neutralité quoiqu’il arrive. Une association d’inspiration confessionnelle pourra candidater à un appel d’offres pour l’exécution d’une mission de service public, mais les agents qui en assureront l’exécution, en tant que salariés ou en tant que bénévoles, devront respecter le principe de neutralité, on est bien d’accord. Ça veut aussi dire que vous acceptez que des associations islamistes puissent candidater à des marchés de services publics.
M. Raphaël Schellenberger
Non ! Celles-là pourront être exclues !
M. Gérald Darmanin, ministre
Non, parce que j’aimerais bien comprendre votre position : il y a peu, vous nous expliquiez qu’il fallait absolument exclure ces associations et que nous menions le combat un peu trop mollement, et voilà que vous nous dites qu’une association inspirée par les Frères musulmans doit pouvoir candidater à un appel d’offres pour l’exécution d’une mission de service public.
On voit bien que ces amendements ne fonctionnent pas sur le plan juridique et surtout qu’ils contredisent largement la position que vous défendiez lors de la discussion générale. Avis défavorable.
M. le président
La parole est à M. Patrick Hetzel.
M. Patrick Hetzel
Monsieur le ministre, que les choses soient claires, nous partageons quelques éléments du combat que vous êtes en train de mener, mais ce qui nous pose problème, c’est que des associations d’inspiration protestante par exemple, qui agissent depuis fort longtemps dans des domaines comme l’inclusion scolaire ou l’aide aux handicapés, ne pourront plus répondre à un certain nombre de commandes publiques, et c’est là où le problème se pose, monsieur le ministre.
M. Gérald Darmanin, ministre
Mais non !
M. Patrick Hetzel
La manière dont vous argumentez montre bien que vous allez exclure du dispositif des associations qui aujourd’hui ne posent aucun problème. Ce que nous combattons dans votre vision, c’est qu’elle crée des problèmes là où il n’y en a pas.
M. Florent Boudié, rapporteur général
C’est vous qui en créez !
M. Patrick Hetzel
Traitez les problèmes, et évitez d’embêter celles et ceux qui ne posent aucun problème !
Plusieurs députés du groupe LR
Bravo !
M. le président
La parole est à M. le rapporteur général.
M. Florent Boudié, rapporteur général
Non, nous ne créons pas de problème supplémentaire ! Prenons l’exemple de ces grandes associations humanitaires qui, tout en revendiquant dans leur statut leur caractère confessionnel, exercent des missions de service public – telle la CIMADE, qui concourt à l’accueil des réfugiés au nom de l’Évangile. Elles pourront bien sûr toujours répondre aux appels d’offres de l’État.
M. Gérald Darmanin, ministre
Bien sûr !
M. Florent Boudié, rapporteur général
Ce que nous leur demandons, comme c’est déjà le cas aujourd’hui, c’est de respecter le principe de neutralité dans l’exercice quotidien de leur mission : sur ce point il n’y a pas de changement. Cela n’empêche pas la CIMADE de rester une structure d’origine confessionnelle. Il n’y a donc aucun problème, monsieur le député, aucun.
M. Gérald Darmanin, ministre
Il n’y a aucun problème ! C’est un quiproquo !
(Les amendements identiques nos 364, 484 et 621 ne sont pas adoptés.)
M. le président
La parole est à Mme la rapporteure, pour soutenir l’amendement no 2540.
Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure
Cet amendement a pour objectif d’étendre l’obligation de communication des sous-contrats aux concessions et de distinguer les sous-contrats conclus pour l’exécution du service public de ceux qui font effectivement participer le sous-contractant au service public.
La commission spéciale avait adopté un amendement du groupe Dem prévoyant la communication des différents contrats de sous-traitance au titulaire du contrat mais je crois que par son imprécision cet amendement laissait un certain nombre de situations en dehors de son champ d’application.
Le champ d’application du régime de la sous-traitance est limité aux marchés de travaux, de services ou de fournitures comportant des services ou des travaux de pose ou d’installation. Or l’article 1er du projet de loi porte à la fois sur les concessions, dans lesquelles la notion de sous-traitance est absente, et sur les marchés sans distinction. Aussi convient-il d’étendre l’obligation de communication des sous-contrats aux concessions.
Par ailleurs, il convient de distinguer les sous-contrats conclus pour l’exécution du service public de ceux qui font effectivement participer le sous-contractant au service public. En effet un contrat peut avoir été conclu par l’entreprise principale dans l’objectif d’accomplir la mission de service public qui lui a été confiée, sans pour autant que ce contrat fasse participer directement le sous-contractant à l’exécution de ce service public.
Cette précision répond également aux préoccupations exprimées tout à l’heure par ma collègue Coralie Dubost en défense de ses amendements.
(L’amendement no 2540, accepté par le Gouvernement, est adopté.)
M. le président
La parole est à Mme Jennifer De Temmerman, pour soutenir l’amendement no 1710.
Mme Jennifer De Temmerman
Il vise à appliquer les dispositifs contenus dans l’article aux missions de service public lorsqu’elles sont exercées dans le cadre d’un contrat de droit privé.
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure
Défavorable. J’ai déjà eu l’occasion à plusieurs reprises de répondre à des amendements qui allaient dans ce sens. Nous devons nous garder de trop élargir le champ de l’article 1er d’autant que, s’agissant des personnes chargées d’une mission de service public et reconnues comme telles par la jurisprudence, les principes d’égalité, de neutralité et de laïcité continueront à s’appliquer.
(L’amendement no 1710, repoussé par le Gouvernement, n’est pas adopté.)
M. le président
Sur l’article 1er, je suis saisi par le groupe La République en marche d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
L’amendement no 166 de Mme Marie-France Lorho est défendu.
(L’amendement no 166, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)
M. le président
La parole est à Mme Emmanuelle Anthoine, pour soutenir l’amendement no 1611.
Mme Emmanuelle Anthoine
L’alinéa 9 prévoit que l’obligation de mise en conformité ne s’applique pas aux contrats dont le terme intervient dans les trente-six mois suivant la date de publication de la loi. Cet amendement, dont M. Éric Ciotti est le premier signataire, vise à la rendre immédiatement applicable, pour l’ensemble des contrats, étant donné l’importance que revêt l’obligation de neutralité des salariés participant à une mission de service public.
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure
Défavorable. L’obligation de mise en conformité ne doit pas s’appliquer aux contrats dont le terme interviendra dans les trente-six mois suivant la publication de la loi, car il faut que les obligations nouvelles pesant sur les contrats en cours demeurent proportionnées aux objectifs.
(L’amendement no 1611, repoussé par le Gouvernement, n’est pas adopté.)
M. le président
L’amendement no 1384 de M. Charles de Courson est défendu.
(L’amendement no 1384, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)
M. le président
La parole est à M. Julien Ravier, pour soutenir l’amendement no 1012.
M. Julien Ravier
Cet amendement, déjà défendu en commission, vise à limiter le champ d’application de l’article 1er imposant la neutralité aux personnes effectuant une mission de service public, afin d’en exclure explicitement les établissements d’enseignement et de santé privés, souvent d’inspiration confessionnelle.
Je suis prêt à le retirer puisqu’il nous a été précisé en commission spéciale que les établissements en question étaient bien exclus du champ d’application de l’article. Je constate cependant qu’une distinction est faite entre l’exécution du service public et les missions de service public, comme dans le cas de l’amendement de M. Reda sur le logement social, que nous soutenons. Confirmez-vous que le présent amendement est satisfait ?
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure
En effet, nous avons eu cette discussion en commission spéciale. Il n’est pas nécessaire d’exclure explicitement les établissements d’enseignement privé sous contrat et hors contrat du champ d’application de l’article 1er parce que cette exclusion résulte de facto du principe fondamental reconnu par les lois de la République, qui consacre la liberté de l’enseignement, et de l’article L. 442-1 du code de l’éducation qui dispose que « l’enseignement placé sous le régime du contrat est soumis au contrôle de l’État. L’établissement, tout en conservant son caractère propre, doit donner cet enseignement dans le respect total de la liberté de conscience. Tous les enfants sans distinction d’origine, d’opinion ou de croyances, y ont accès. »
Enfin, la rédaction même de l’article 1er du projet de loi exclut les cas où la délégation de service public est confiée par un contrat à l’exception de ceux qui relèvent de la commande publique…
M. le président
Chers collègues du groupe LR, M. Ravier a demandé une précision pour décider s’il retire ou non son amendement, qu’une partie d’entre vous soutient ; il serait urbain pour lui d’écouter la réponse que lui apporte Mme la rapporteure.
M. Erwan Balanant
Très bien !
Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure
En l’occurrence, ma réponse est presque achevée – à moins que je ne relise le texte de l’article 1er : encore une fois, il exclut les cas où la délégation est confiée par contrat, sauf commande publique. Soyez donc rassurés. En conséquence, l’avis de la commission est défavorable.
M. le président
Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre
En effet, rassurez-vous, monsieur Ravier : les écoles sous contrat et les ESPIC, les établissements de santé privés d’intérêt collectif, ne sont pas concernés par l’article 1er, comme nous l’avons précisé en commission.
Alors que les députés s’apprêtent à se prononcer sur l’article 1er, je tiens à leur dire toute son importance puisqu’il consiste à imposer la neutralité du service public aux délégataires de service public, c’est-à-dire à des centaines de milliers de personnes qui, dans les transports en commun, dans les piscines, en vertu de délégations de service public, dans les marchés sur les places de nos villes et de nos villages, travaillent au nom du service public tout en étant salariés d’une entreprise. J’insiste : cette disposition très forte vise à étendre, en lien avec la jurisprudence et parfois au-delà, le principe de neutralité aux services publics délégués. C’est un nouveau devoir qui s’imposera à toutes les personnes concernées dans chaque collectivité locale, étant entendu que les écoles sous contrat et les ESPIC n’y sont naturellement pas soumis, comme l’indique l’étude d’impact qui vous a été transmise.
(L’amendement no 1012 est retiré.)
M. le président
Je mets aux voix l’article 1er.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 188
Nombre de suffrages exprimés 175
Majorité absolue 88
Pour l’adoption 174
Contre 1
(L’article 1er, amendé, est adopté.)
(Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, Dem et Agir ens.)
Suspension et reprise de la séance
M. le président
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures vingt, est reprise à dix-huit heures trente.)
M. le président
La séance est reprise.
Après l’article 1er
M. le président
Nous en venons à des amendements portant article additionnel après l’article 1er.
La parole est à M. Éric Diard, pour soutenir l’amendement no 1165.
M. Éric Diard
L’école est le lieu privilégié de l’assimilation des principes de la République. Nous avons vu en commission que si la question de l’application de la neutralité religieuse aux personnes concourant occasionnellement au service public de l’éducation se posait légitimement, il n’était pas souhaitable d’étendre cette obligation à tous les collaborateurs occasionnels du service public, ni même de créer une nouvelle catégorie juridique.
L’amendement vise donc à soumettre les intervenants scolaires extérieurs se rendant ou recevant une classe, ainsi que les accompagnateurs scolaires, à l’obligation de neutralité applicable aux agents publics, pour la durée au cours de laquelle ils apporteront leur concours à l’exécution du service public d’éducation.
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure
L’amendement a pour objet de soumettre au principe de neutralité toute personne entrant dans un lieu scolaire, ainsi que les collaborateurs occasionnels du service public. Permettez-moi d’évoquer notre conception de la laïcité ! L’amendement vise, d’une part, un espace – le lieu scolaire –, raison pour laquelle nous ne pouvons pas suivre votre proposition, et d’autre part, les collaborateurs occasionnels. Or, c’est un sujet que nous traiterons de manière plus générale dans d’autres amendements à venir. Personnellement, je ne suis pas partisane d’une approche catégorielle. La commission a émis un avis défavorable.
(L’amendement no 1165, ayant reçu un avis défavorable du Gouvernement, est retiré.)
M. le président
La parole est à Mme Emmanuelle Ménard, pour soutenir l’amendement no 351.
Mme Emmanuelle Ménard
J’avais déposé un amendement similaire en commission, où l’on m’avait signalé que sa rédaction pouvait viser les restaurants des établissements scolaires confessionnels. Je l’ai donc modifiée, et je pense que vous pourrez maintenant émettre des avis favorables.
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure
Sur ce sujet, madame Ménard, il me semble préférable de nous en tenir à la décision du Conseil d’État du 11 décembre 2020, dont il ressort que « les principes de laïcité et de neutralité du service public ne [font] pas, par eux-mêmes, obstacle à ce que les usagers du service public facultatif de la restauration scolaire se voient offrir un choix leur permettant de bénéficier d’un menu équilibré sans avoir à consommer des aliments proscrits par leurs convictions religieuses ».
C’est donc un avis défavorable.
(L’amendement no 351, repoussé par le Gouvernement, n’est pas adopté.)
M. le président
Je suis saisi de six amendements, nos 1645, 1613, 20, 203, 878 et 1152, pouvant être soumis à une discussion commune.
La parole est à M. Nicolas Meizonnet, pour soutenir l’amendement no 1645.
M. Nicolas Meizonnet
Je serai très rapide, car il ne reste aux députés non inscrits que quelques secondes de temps de parole – ainsi va la vie démocratique dans l’hémicycle.
L’amendement vise à imposer la neutralité religieuse dans les établissements publics de l’enseignement supérieur. En effet, il est bien évident que si nous sommes favorables à l’interdiction du port du voile islamique dans l’espace public, nous le sommes plus encore lorsqu’il s’agit de nos universités. Cet étendard politique funeste, ce symbole de soumission, n’a pas sa place en ces lieux de savoir et d’émancipation que sont nos universités.
M. le président
Je vous remercie, monsieur Meizonnet. Avant votre intervention, il restait trente-sept secondes aux députés non inscrits pour s’exprimer sur l’ensemble du texte : vous en avez utilisé trente-six, il ne restera donc désormais plus qu’une seconde à vos collègues pour s’exprimer sur les cinquante-deux articles du projet de loi qu’il nous faut encore examiner.
M. M’jid El Guerrab
Oh !
Mme Marie-George Buffet
C’est un vrai problème !
M. le président
Je vous informe que, sur les amendements nos 1613 et 20, je suis saisi par le groupe Les Républicains d’une demande de scrutin public.
Les scrutins sont annoncés dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
La parole est à M. Éric Ciotti, pour soutenir l’amendement no 1613.
M. Éric Ciotti
Avant de le défendre, permettez-moi de m’étonner d’un système qui fait que, dans cet hémicycle, des parlementaires ne disposent désormais plus que d’une seule seconde pour s’exprimer sur tout le reste du projet de loi. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LR. – Mme Emmanuelle Ménard et M. Nicolas Meizonnet applaudissent également.) Il me semble que c’est ce que d’aucuns auraient qualifié d’« anomalie démocratique »,…
M. Pacôme Rupin
Elle ne date pas d’hier !
M. Éric Ciotti
… anomalie qui s’est trouvée confortée par les choix de certains.
Je tiens à défendre mon amendement, qui tend à proscrire le port de signes religieux dans les salles de cours, et plus généralement les lieux et situations d’enseignement et de recherche dans les établissements publics d’enseignement supérieur. En visant particulièrement les vêtements incarnant une forme de prosélytisme, mon amendement tend à défendre et soutenir très clairement ma position – ainsi que j’en ai l’habitude, même si cela peut d’ailleurs m’être reproché : le voile n’a pas sa place dans les amphithéâtres de nos universités.
Même si ce n’est pas l’argument principal, je voudrais tout d’abord citer à l’appui de ma position le résultat d’un sondage, selon lequel 78 % de nos concitoyens sont opposés au port du voile à l’université. Si je tiens à défendre cette position, c’est aussi et surtout en pensant aux femmes auxquelles on impose un vêtement symbole « d’asservissement » – pour reprendre le mot utilisé par M. le garde des sceaux devant notre commission spéciale. En outre, à mes yeux, l’université et les grandes écoles sont le cadre de la raison, de la science et des lumières par excellence. Or, le voile représente tout au contraire l’asservissement, l’obscurantisme, le fait que la femme ne peut incarner qu’un objet de tentation qu’il conviendrait de dissimuler. Dans un pays de liberté qui revendique l’égalité entre les hommes et les femmes, je crois que cet obscurantisme n’a plus sa place, notamment dans les salles de cours.
Or aujourd’hui, nous voyons monter les revendications. Dans certaines universités et grandes écoles, avant-hier avait lieu le « Hijab Day »: c’est dire comme, dans notre pays, les reculs ou les avancées conquièrent les âmes comme les territoires. Eh bien moi, je ne veux pas que, demain, dans notre université, tous les jours devienne.nt un « Hijab Day »
Je sais que certains m’objecteront l’argument de la liberté religieuse – vous en serez, monsieur le ministre –, mais celle-ci peut avoir des limites. Elles existent d’ailleurs déjà dans l’enseignement supérieur, par exemple dans les classes préparatoires des lycées ou dans les grandes écoles, au sein des BDS – bureaux des sports –, qui participent de l’enseignement supérieur. Ces limites ne s’opposent pas à nos principes constitutionnels.
Enfin, la Conférence des présidents d’université a elle aussi rappelé que si la liberté était la règle, elle pouvait souffrir l’existence de limites si certains comportements reflétaient une sorte de prosélytisme. Qui peut nier qu’aujourd’hui, le voile incarne pour beaucoup le prosélytisme de l’islamisme que nous voulons proscrire de l’enseignement supérieur ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LR.)
M. le président
La parole est à Mme Annie Genevard, pour soutenir l’amendement no 20.
Mme Annie Genevard
Nous allons aborder plusieurs sujets relatifs au voile et, plus généralement, à la neutralité religieuse. Il me semble, madame Buffet, que c’est un débat légitime qui doit avoir lieu ici : non seulement il n’est pas indigne, mais il pose des questions importantes. J’espère donc que, sur ce sujet, nous sortirons des postures habituelles.
Nous proposons, avec ces amendements, d’assurer la neutralité religieuse dans les espaces de l’université dédiés à l’enseignement. L’université est une matrice intellectuelle, aujourd’hui traversée par des mouvements puissants et destructeurs qui s’appellent le décolonialisme, le racialisme, l’indigénisme, l’intersectionnalité. Bref, nous avons affaire à une offensive idéologique, au nom de minorités qui s’estiment opprimées en raison de leur race, de leur religion ou de leur sexe.
Il résulte de ce mouvement puissant et destructeur une entrave à la liberté académique, une intimidation des responsables des institutions académiques, une menace pour les savoirs savants, ceux-là mêmes qui sont empiriquement étayés et logiquement irréprochables.
Je vous invite, mes chers collègues, à lire le récent appel de l’Observatoire du décolonialisme et des idéologies identitaires, qui dénonce les « nouveaux militantismes fanatiques » et vise à combattre des mouvements militants qui entendent « imposer une critique radicale des sociétés démocratiques ». Il y a là une offensive séparatiste dont nous devons prendre la mesure. J’en citerai deux exemples, l’un français, l’autre étranger, car ce mouvement ne se limite pas à la France, même si la France peut y apporter une réponse propre : dans notre pays, on a interdit la représentation d’une pièce d’Eschyle ; à l’université de Leicester, la littérature médiévale ne sera plus enseignée, remplacée par un cours sur la race et la sexualité. Éric Ciotti a évoqué le « Hijab Day »…
Mme Sonia Krimi
Vous généralisez !
Mme Annie Genevard
Vous ne pouvez ignorer qu’un très grand nombre de nos compatriotes sont, comme nous, heurtés par cette initiative.
Monsieur le ministre, ce texte manque de signaux puissants, de symboles forts de notre résistance, de la résistance de la France, à ce travail d’emprise.
Face à la menace islamiste, notre état d’esprit collectif doit être à la « mobilisation générale », pour reprendre les termes de François Baroin. Ce dernier a soutenu la cause de la laïcité et de la neutralité religieuse au sein des établissements d’enseignement primaire et secondaire, qui s’est arrêtée en 2004 aux portes des universités. Il ne faut pas en rester là alors que ce débat a pris de l’ampleur, que les situations conflictuelles se sont multipliées, que le port du voile se développe jusqu’à devenir par endroits une norme sociale. Comment pouvons-nous accepter cela dans notre pays ? C’est pourquoi nous proposons que la neutralité religieuse soit étendue aux espaces d’enseignement universitaires. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LR.)
Mme Sonia Krimi
N’importe quoi ! Vous n’êtes qu’une ignorante !
M. le président
La parole est à Mme Anne-Laure Blin, pour soutenir l’amendement no 203.
Mme Anne-Laure Blin
Cet amendement se situe dans la lignée des précédents. Monsieur le ministre, vous savez pertinemment, car nous en avons débattu en commission spéciale, que votre texte omet totalement le sujet de l’université. Pourtant, comme l’ont rappelé mes collègues Annie Genevard et Éric Ciotti, celle-ci est progressivement devenue la proie du prosélytisme religieux et du communautarisme.
Le rapport de François Baroin « Pour une nouvelle laïcité », remis en 2003, donc antérieur à la loi de 2004, ne préconisait pas d’interdire le port du foulard islamique à l’université. Force est de constater qu’aujourd’hui, la menace a évolué ; il nous faut donc, dans un esprit collectif, nous mobiliser totalement au service des principes républicains qui donnent leur nom à votre projet de loi. Les personnels universitaires sont tenus de respecter la laïcité, mais tel n’est pas le cas des étudiants : ce sont finalement des amendements de cohérence que nous vous proposons d’adopter, afin de mettre les uns et les autres sur un pied d’égalité, et qu’ils soient plus à même de vivre ensemble les principes de la République. En conséquence, cet amendement vise à interdire aux étudiants des universités le port de signes ou de tenues manifestant ostensiblement une appartenance religieuse.
M. le président
La parole est à M. Pierre-Henri Dumont, pour soutenir l’amendement no 878.
M. Pierre-Henri Dumont
Hier épargnés, les lieux d’enseignement que sont les universités françaises se trouvent désormais en butte au séparatisme et au prosélytisme. Censés assurer la diffusion de l’esprit des Lumières, et permettre aux femmes et aux hommes de s’émanciper de leur milieu social, de leurs origines, ces lieux sont aujourd’hui le théâtre de manifestations intolérables sous des formes nouvelles, portées par ceux que je considère comme des ennemis de la République. Des syndicats étudiants, autrefois fréquentés par certains députés qui siègent sur les bancs de la majorité ou de l’opposition de gauche, se permettent de tenir des réunions interdites aux personnes dont le sexe ou la couleur de peau ne convient pas. Tout cela porte atteinte à l’universalisme dont l’idée se retrouve dans l’étymologie même du nom « université ».
Monsieur le ministre, il ne faut pas nier que le prosélytisme religieux est de plus en plus répandu au sein des établissements d’enseignement supérieur. Il suffit de lire la presse ; il suffit de savoir que des jeunes filles sont menacées, à la sortie de leur IUT – institut universitaire de technologie –, parce qu’elles ne portent pas le voile ; il suffit de voir le désarroi des professeurs lorsque des provocateurs réclament que les cours se poursuivent malgré la présence d’étudiantes qui s’inscrivent manifestement, délibérément, dans une démarche relevant à la fois du communautarisme et du prosélytisme religieux.
Nous devons leur donner les moyens de réagir. Nous ne pouvons laisser seuls nos professeurs des universités, nos étudiants, nous ne pouvons pas les abandonner face à cette menace, dans ce qui est censément un lieu saint, un endroit sanctuarisé et préservé. C’est pourquoi nous sommes plusieurs, au sein du groupe Les Républicains, à vous proposer d’interdire le port de signes religieux ostentatoires au sein de nos établissements d’enseignement supérieur.
Vous ne pourrez objecter, monsieur le ministre, que cette interdiction serait contraire à la liberté de conscience de personnes majeures, car elle s’applique déjà dans certains lieux d’enseignement supérieur ; je pense en particulier aux classes préparatoires qu’hébergent des lycées. Il ne s’agit donc pas de libre choix, de libre arbitre, mais de courage politique : c’est là que nous vous attendons aujourd’hui.
M. Robin Reda
Excellent !
M. le président
L’amendement no 1152 de M. Aurélien Pradié est défendu.
Quel est l’avis de la commission sur l’ensemble des amendements en discussion commune ?
Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure
Ces amendements ont pour objet d’étendre à l’université l’interdiction des signes religieux ostensibles appliquée à l’école depuis la loi du 15 mars 2004. Cependant, cette dernière mesure constitue une exception à notre conception de la laïcité : elle se justifie par la spécificité de l’école et de ses usagers. Les élèves sont jeunes, ils sont en construction : l’absence d’affrontements entre religions, entre communautés, est indispensable pour que les cours se déroulent dans de bonnes conditions. Jean Zay, une autorité en la matière, écrivait que « les écoles doivent rester l’asile inviolable où les querelles des hommes ne pénètrent pas ».
Plusieurs députés du groupe LaREM
Très bien !
Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure
Faut-il étendre cette interdiction à l’université ?
Plusieurs députés du groupe LR
Oui !
Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure
Je comprends que la situation au sein de cette dernière suscite le débat, mais elle diffère totalement de celle de l’école. À l’exception des surdoués, ceux qui la fréquentent sont majeurs ; grâce à leur scolarité, ils se trouvent à même, j’espère, de se forger des opinions. Ils étudient dans la diversité. L’université est un lieu où l’on échange et où l’on confronte des idées, toutes sortes d’idées. L’essentiel est qu’elles puissent toutes s’exprimer – je comprends donc vos réserves quand vous évoquez certaines situations. Chacun doit pouvoir faire part de son opinion. Si l’université ne se trouve pas ouverte sur le monde, c’est un échec.
M. Pierre-Henri Dumont
Considérez-vous le port du voile comme une ouverture sur le monde ?
Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure
Pour toutes ces raisons, bien que j’entende certains de vos arguments, l’avis de la commission sera défavorable.
M. le président
Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre
Même avis.
M. le président
Comme vous pouviez vous en douter, mes chers collègues, un certain nombre d’entre vous ont demandé à s’exprimer.
La parole est à Mme Cécile Rilhac.
Mme Cécile Rilhac
Comme vient de l’expliquer Mme la rapporteure, il faut replacer les choses dans leur contexte. Si la neutralité religieuse est imposée dans l’enseignement primaire et secondaire, mais non dans l’enseignement supérieur, c’est parce que la loi de 2004 visait à protéger les élèves, nos enfants. Un mineur se trouve à l’âge où l’on construit sa pensée : il faut pour cela qu’il ne subisse, à l’école, aucune influence de la part des adultes ou de ses camarades. De là découle l’interdiction des signes religieux ostensibles. Au contraire, lorsque l’on entre à l’université, on est un majeur, un jeune adulte ; on commence à affirmer ses opinions, ses choix philosophiques, politiques, religieux ; on peut donc venir habillé comme on le souhaite. C’est pour cela, monsieur Dumont, que les étudiants des classes préparatoires et BTS – brevet de technicien supérieur – acceptent en toute connaissance de cause le règlement intérieur de l’établissement du second degré dont ils dépendent.
M. Julien Ravier
Comme quoi, ce n’est pas gênant !
Mme Cécile Rilhac
Madame Genevard, je suis d’accord avec vous concernant le fait qu’il y a aujourd’hui énormément de dérives au sein des universités. Des groupuscules prônent une sorte de séparatisme en organisant des réunions de blancs ou interdites aux non-blancs, des réunions totalement « démixées ». (Exclamations sur quelques bancs du groupe LR.) C’est un fait ; mais la mesure que vous défendez ne réglera pas le problème. Au contraire, en interdisant les signes religieux, vous radicaliseriez ces étudiants, vous les conforteriez dans leurs thèses : ce serait contre-productif.
Enfin, s’il vous plaît, monsieur Ciotti, arrêtez de détourner les propos du garde des sceaux. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM.) M. Éric Dupond-Moretti n’a pas dit ce que vous prétendez, que le voile était un outil d’oppression,…
M. Éric Ciotti
D’asservissement !
Mme Cécile Rilhac
Il a, avant tout, affirmé que le porter constituait un choix, relevant de la liberté de conscience. Cessez de parler d’oppression ! Le Président de la République lui-même l’a déclaré : on ne peut se mettre à la place d’une femme voilée. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe LR.) Certaines, dans certains pays, perçoivent peut-être leur voile comme un signe d’oppression, d’autres non. Comment faire la différence ? Vous n’êtes pas à leur place. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM.)
Mme Constance Le Grip
C’est de l’asservissement des femmes qu’il est question !
M. le président
Chers collègues du groupe Les Républicains, plusieurs interventions sont attendues sur ce sujet dans un instant. Si vous pouviez écouter celles qui ne vont pas entièrement dans votre sens avec le respect qu’elles méritent, tout se passerait convenablement. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.)
Mme Annie Genevard
Nous avons écouté !
M. Pierre Cordier
Il faudrait faire la même remarque à tout le monde !
M. le président
La parole est à M. Ludovic Mendes.
M. Ludovic Mendes
Le débat est très compliqué. On parle beaucoup du voile, mais pas des autres signes religieux – voire des signes politiques, comme me le rappelait mon collègue Thomas Rudigoz. Dans l’une des universités de Lyon, certaines personnes d’extrême droite revendiquaient ainsi leur couleur politique, ce qui soulève les mêmes questions que les signes ostentatoires religieux. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe LaREM.)
Mme Emmanuelle Ménard
Oh !
M. Ludovic Mendes
Quoi qu’on en pense, le voile est un signe plurivoque. Toutes les femmes ne le portent pas pour les mêmes raisons. Cessons de croire qu’il ne traduit que la soumission de la femme. Même si l’on y est opposé, n’oublions pas qu’il a plusieurs significations et qu’il n’y a pas qu’une seule raison de le porter. Je tiens à rappeler aussi que la Conférence des présidents d’université s’est prononcée contre l’interdiction du voile à l’université. L’université, c’est l’universalisme. C’est le lieu où l’on forge sa personnalité et ses connaissances en sciences, en politique, dans le domaine religieux ou dans bien d’autres domaines encore. C’est d’ailleurs ce que révèle l’histoire de l’université au Moyen Âge : l’université de Paris a été créée sur ces principes, en particulier par le religieux, avant d’évoluer progressivement. Aujourd’hui, chers collègues, vous nous parlez des Lumières : depuis, l’université a beaucoup travaillé.
Le symbole du voile est polysémique et non prosélyte. Ce que nous devons combattre, ce sont les comportements des personnes – qu’elles portent le voile ou non – qui ne respectent pas les règles du système éducatif et de la recherche, ou qui tiennent des propos relevant du trouble à l’ordre public. Cela, nous devons le combattre sans ambages. En revanche, nous ne devons pas combattre l’habit en lui-même.
J’aimerais aussi rappeler que le fait de parler des signes religieux en ne mentionnant que le voile relève de la xénophobie et de la stigmatisation. Cela, c’est répréhensible. Veillons à ne pas cataloguer une seule partie de la population et soyons à l’écoute des étudiantes dans nos universités. Faisons en sorte qu’une prise de conscience permette à celles qui portent le voile en entrant à l’université de le retirer progressivement lorsqu’elles la quittent.
Mme Constance Le Grip
Elles ne le feront pas !
M. Ludovic Mendes
Mais ne faisons pas en sorte qu’elles ne puissent pas y entrer ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM. – Exclamations sur plusieurs bancs du groupe LR.)
Mme Constance Le Grip
Vous n’avez pas écouté, vous ne regardez pas la réalité en face !
M. le président
La parole est à M. Éric Coquerel.
M. Éric Coquerel
Je voudrais d’abord intervenir sur le fond de vos amendements, chers collègues. Vous proposez qu’à l’université, on applique les mêmes règles et lois que celles qui prévalent dans les écoles où étudient les enfants mineurs. Depuis la loi de 2004, les signes distinctifs y sont effectivement interdits – et c’est une bonne chose. Mais l’école n’est pas du tout la même chose que l’université, qui accueille des majeurs.
Mme Annie Genevard
Et alors ?
M. Éric Coquerel
Citoyens formés, ceux-ci y exercent leur libre arbitre et débattent entre eux. Le cas de l’université n’est donc pas le même que celui de l’école, notamment élémentaire, où nous revendiquons effectivement qu’un jeune en formation soit reconnu avant tout comme un citoyen comme un autre et non pour son appartenance à une communauté ; à l’école, c’est entre jeunes citoyens en formation que doivent se tenir les débats.
Je soulignerai ensuite que, comme d’habitude, vous avancez des arguments et des faits sans aucune source et exagérez certains phénomènes. Jean-Louis Bianco expliquait en 2016 qu’en tout et pour tout, dans les universités, 140 incidents liés à des signes religieux avaient été dénombrés, dont 20 à 25 concernaient le voile. (Exclamations sur quelques bancs du groupe LR.) Vous amplifiez ce phénomène pour en faire un fantasme et laisser penser que notre pays est, comme vous le dites en permanence, en proie à un danger séparatiste tel qu’il remettrait en question les fondements de la République.
Les amendements que vous avez présentés, chers collègues, et ceux qui suivront, sont donc non seulement contraires à la loi de 1905, mais visent, en réalité, à n’interdire qu’un seul signe distinctif dans l’espace public – le voile. Voilà tout ce dont il s’agit. J’entends M. Ciotti ou Mme Genevard, j’ai entendu Mme Ménard : il faudrait interdire ce signe car il serait le symbole de la soumission des femmes.
Mme Annie Genevard, Mme Constance Le Grip et M. Éric Ciotti
Eh oui !
M. Éric Coquerel
Mais faites attention, chers collègues, car la soumission de la femme à l’homme est inscrite dans les textes et les manifestations religieuses des trois religions monothéistes, et parfois dans leurs signes distinctifs. Savez-vous par exemple que le voile d’une mariée chrétienne signifie la soumission de la femme à son époux ? (Rires et exclamations sur les bancs du groupe LR.)
M. Julien Ravier
Et la jarretière de la mariée, c’est un signe de soumission ?
M. Pierre Cordier
C’est vraiment n’importe quoi !
M. Éric Coquerel
C’est exactement comme pour les religieuses ! Relisez les textes. Au nom de cette revendication, allez-vous demander que les mariages religieux ne se déroulent plus de la même façon dorénavant ? Tout cela renvoie, dans la religion chrétienne, à une idée très claire : Lilith a été considérée comme un démon car elle est née de l’argile comme Adam, contrairement à Ève. Elle a ainsi été bannie parce qu’elle se voulait l’égale de l’homme. Allez-vous considérer que tout signe religieux cautionnant cette vision de la femme et de l’homme est à bannir ? Bien sûr que non ! Vous n’allez pas le faire…
Mme Constance Le Grip
À l’université, si !
M. Éric Coquerel
…car depuis la loi de 1905, on estime fort heureusement que ces signes distinctifs dans l’espace public doivent être éventuellement contredits par la pédagogie et le débat, et non interdits.
L’interdiction, vous ne l’imposez en réalité qu’à une seule religion. Votre proposition n’est pas de bannir ce signe de soumission de tout l’espace public, ni même de la bannir des écoles : lorsque nous avons proposé des amendements réclamant la fin de l’interdiction de la mixité dans certaines écoles sous contrat, où filles et garçons sont séparés, vous avez voté contre et les avez même combattus. Votre préoccupation n’est donc pas celle-là. Elle n’est que de persécuter une seule religion et ses signes distinctifs. (Protestations sur les bancs du groupe LR.)
M. Pierre-Henri Dumont
Arrêtez, c’est n’importe quoi !
M. Julien Ravier
Vous croyez que nous n’avons pas d’amis musulmans, bon Dieu !
M. Éric Coquerel
Si nous adoptions les amendements que vous avez présentés et ceux qui suivront, vous développeriez dans notre pays un potentiel climat de guerre civile et de division.
Il vous suffirait de vous promener en France pour constater que, si les femmes que vous visez – on vise toujours des femmes – portent le voile, ce que l’on peut regretter politiquement ou philosophiquement, ce n’est absolument pas par adhésion à une vision intégriste de leur religion, et encore moins en raison d’une quelconque dérive terroriste. Vous proposez tout simplement une discrimination à l’encontre d’une seule religion. Cela s’appelle le racisme antimusulman. Voilà le fond de vos amendements, et il est très franchement problématique que ce projet de loi vous permette de l’exprimer et d’installer ce débat pourri dans le pays. (Exclamations sur les bancs du groupe LR.)
M. le président
La parole est à M. Christophe Euzet.
M. Christophe Euzet
Sur un sujet aussi épineux, nos compatriotes méritent un débat apaisé et serein. J’ai l’honneur d’être enseignant titulaire dans l’enseignement supérieur depuis 1998 et j’ai vu arriver sur les bancs des amphithéâtres, dans les années 2000, des étudiantes voilées de plus en plus nombreuses. Je n’ai pas peur de dire que je l’ai vécu avec beaucoup de souffrance – je souscris à cet égard à une partie des propos tenus par nos collègues depuis tout à l’heure. Je l’ai en effet vécu, à l’origine, comme une agression. C’était ma conviction profonde, un sentiment qui me plaçait dans une posture très inconfortable face à la nouvelle population d’étudiants.
Mais il faut établir une distinction entre ce que l’on ressent profondément et ce sur quoi l’on doit légiférer. Dans ce domaine, il faut faire la part des choses. D’abord – cela a été dit à plusieurs reprises –, les étudiants dont nous parlons sont majeurs. Nous ne pouvons pas leur imposer une police vestimentaire, au risque de devenir ceux que nous nous apprêtons à combattre.
M. Julien Ravier
Il est interdit d’interdire ?
M. Christophe Euzet
Nous ferions la même chose qu’eux, finalement, et n’enverrions pas un bon signal.
Ensuite, les universités françaises conservent une force d’attraction pour des populations étrangères, notamment de confession musulmane, auprès desquelles elles œuvrent en matière d’ouverture à l’esprit critique.
Enfin, cette question revêt une dimension plus intellectuelle. Je la considère d’un œil neuf pour y avoir été confronté en tant que référent laïcité pendant des années et pour avoir longuement vécu en Égypte : même si les étudiants qui arrivent à l’université sont de jeunes adultes, ils sont en réalité des enfants. Or la mission de l’université est justement de les émanciper, de les conduire dans un cheminement de construction de l’esprit et de la personnalité. C’est ce qui fait la vertu du système dans lequel nous vivons. Nous n’avons pas à nous préoccuper de la façon dont les étudiantes sont vêtues et du fait qu’elles soient voilées ou non – quant aux jeunes garçons, leur front est parfois marqué par la zabiba, une tache sombre qui est un signe manifeste de piété. L’objet n’est pas là : il est de construire des esprits libres, dans toutes les dimensions que peut revêtir l’esprit. Je ne pense donc pas qu’il soit profitable de légiférer dans ce domaine.
J’ajouterai un dernier point : pour les jeunes filles dont nous parlons, l’université est souvent le premier lieu d’émancipation…
Mme Valérie Beauvais
Porter le voile serait un signe d’émancipation ?
M. Christophe Euzet
…après qu’elles ont fréquenté un collège et un lycée déjà en quelque sorte ghettoïsés. Pour la première fois de leur vie, elles ont la possibilité de se mélanger à d’autres publics. On constate systématiquement qu’après une première année au cours de laquelle elles restent marginalisées, elles tendent à se mêler davantage aux autres publics à mesure qu’elles avancent dans leur cursus. Je ne pense pas que l’interdiction du voile dans les universités serait un signe positif, même si je suis sensible aux arguments qui ont été évoqués. (Applaudissements sur les bancs du groupe Agir ens.)
M. le président
La parole est à M. M’jid El Guerrab.
M. M’jid El Guerrab
Je remercie mon collègue Christophe Euzet pour les mots qu’il vient de prononcer. Nous avons effectivement besoin d’apaisement dans ce débat, d’où que nous parlions et quelles que soient notre histoire et la culture dans laquelle nous avons grandi. Je le dis de la façon la plus honnête qui soit : ma maman porte le voile. Il se trouve qu’elle nous accompagnait, petits, à l’occasion de sorties scolaires. Si elle porte le voile, ce n’est pas par prosélytisme comme j’ai pu l’entendre, mais pour des raisons culturelles. Elle a grandi quasiment avec le voile, au Maroc, puis s’est retrouvée ici en France, avec ses enfants. Lorsqu’elle nous conduisait à l’école, elle avait parfois un peu honte d’y entrer avec le voile, mais elle le faisait parce que nous étions ses enfants et qu’elle était notre mère.
Certains propos que j’ai entendus me font mal cœur. Sans le vouloir – je suis certain que vous n’êtes pas de mauvaise foi, chers collègues –, vous insultez une partie de la population française, qui se sent offensée dans ce qu’elle a de plus intime (Applaudissements sur les bancs des groupes Agir ens, LaREM et FI et sur plusieurs bancs des groupes SOC et GDR.)
Nous parlons du lycée et de l’université. Concernant le lycée, plus personne ne conteste la loi de 2004, même si quelques avis contraires s’expriment encore. La loi est totalement intégrée et, depuis les années 1980 et 1990, il n’y a plus de débat. Quant à l’université, le problème qui s’y pose n’est pas celui du voile. Votre problème, chers collègues, est celui de l’islam en tant que tel, qui est un fait social. L’islam est là ; il fait partie des religions françaises, de notre culture. (M. Stéphane Peu applaudit.) Des musulmans, comme mes grands-parents aujourd’hui décédés, se sont battus pour notre liberté. Aujourd’hui, vous expliquez à leurs petits-enfants qu’ils ont tort et que leur religion est mauvaise ! (M. Jean-Luc Mélenchon applaudit.) Mais il ne faut pas confondre les islamistes radicaux et l’islam comme vous le faites aujourd’hui. (Applaudissements sur
M. le président
La parole est à M. Saïd Ahamada.
M. Saïd Ahamada
Je suis très heureux que ce débat ait lieu à l’Assemblée et pas ailleurs. Il est à notre honneur que tous les points de vue puissent s’exprimer.
Je passerai sur l’amalgame qu’a fait Mme Genevard entre les mouvements indigènes, quasiment racialistes, et le port du voile. J’aurai besoin que l’on m’explique s’il y a un rapport, car, honnêtement je n’en vois pas beaucoup.
Mme Annie Genevard
Le séparatisme !
M. Saïd Ahamada
Sur la question du voile à l’université, les amendements qui nous sont présentés portent des sous-entendus et j’aimerais que vous soyez plus clairs chers collègues – M. Ciotti, notamment – lorsque vous les présentez. Premier sous-entendu : les femmes qui portent le voile sont des êtres inférieurs qui ne sont pas en capacité de réfléchir, notamment à la façon dont elles souhaitent s’habiller.
Mme Valérie Beauvais
Nous n’avons jamais dit ça !
M. Saïd Ahamada
Vous pensez que c’est un signe de soumission. Il se trouve qu’en France, d’autres personnes pensent le contraire – et ce sont des Françaises et des Français à part entière. Je ne crois pas qu’il soit de notre responsabilité de dire à une femme comment elle doit se vêtir.
Le deuxième sous-entendu, qui n’en est pas vraiment un puisque j’ai entendu ces propos ici même, c’est que toutes les femmes voilées sont une menace pour la République. Pour ma part, je ne pense pas que les femmes voilées soient une menace pour la République. Le vrai problème, monsieur Ciotti, madame Genevard et vous tous qui avez porté ces amendements, ce n’est pas ce que les femmes – en l’occurrence les étudiantes – portent sur la tête, mais ce qu’elles ont en tête, autrement dit la possibilité pour ces personnes de venir se former à l’université. Ce qui compte, c’est de rencontrer l’autre, d’être confronté à une altérité, c’est comme ça qu’on se construit et c’est comme ça que notre République s’est construite. En voulant priver les étudiantes de cette altérité et leur interdire l’accès à l’université, vous participez au séparatisme, vous le favorisez, ce qui est exactement le contraire de ce qu’il faut faire !
En interdisant aux femmes voilées d’accéder à l’université – ou du moins en interdisant aux étudiantes de porter le voile à l’université –, vous stigmatisez une population comme M. El Guerrab vient de le dire. Il est dangereux pour notre pays de suggérer que porter le voile est le premier pas vers le séparatisme, voire vers un acte terroriste. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM et sur les bancs du groupe FI. – M. Gérard Leseul applaudit également.)
M. le président
La parole est à M. Jean-Christophe Lagarde.
M. Jean-Christophe Lagarde
Je vais vous expliquer pourquoi nous voterons contre ces amendements. D’abord parce que nous croyons profondément que, dans la lutte idéologique que nous avons à mener contre le projet politique totalitaire des islamistes, nous devons veiller à ne pas nous dénaturer – car si nous nous dénaturons, nous laissons les islamistes remporter une première victoire idéologique.
M. Florent Boudié, rapporteur général
Très bien !
M. Jean-Christophe Lagarde
C’est un contresens historique que de vouloir réglementer l’université en fonction de la laïcité. Comme quelqu’un l’a rappelé tout à l’heure, l’université est née au Moyen Âge, dans l’ensemble de la civilisation européenne, comme un fait religieux – et si elle est universaliste, c’est précisément parce qu’elle avait vocation à organiser les relations entre les universités religieuses à travers la religion catholique. Affirmer aujourd’hui que l’université devrait se laïciser est un contresens, puisque l’évolution de l’université a justement permis le débat et la contradiction.
J’ai entendu dire tout à l’heure que l’université était le lieu où on se forgeait. J’estime pour ma part que, si l’on se forge à l’école avant de se forger à l’université, il y a une grande différence entre les deux, qui ne réside pas simplement dans le fait que les étudiants sont des adultes. À l’école, on n’accepte pas le débat, on n’accepte pas la confrontation, on n’accepte pas la contradiction des principes qui nous font vivre ensemble : c’est la raison d’être des programmes, mais aussi des principes de laïcité qu’on y applique. Il en va tout autrement à l’université, fondée sur la recherche, le débat, la confrontation et la contradiction dans tous les domaines, qu’il s’agisse de la politique, des questions sociales, des mathématiques ou de la physique. L’université est par essence le lieu de la confrontation, y compris religieuse.
J’observe qu’avec ces amendements, vous remettez en question un autre principe, que nous venons de confirmer à l’article 1er, principe auquel il ne faut pas toucher, selon lequel la laïcité s’applique au service public, et non à l’usager : vous voulez faire de l’université un lieu où l’usager serait contraint. Très franchement, cela conduit à ouvrir d’autres débats, ceux de la laïcité de l’usager dans les nombreux autres services publics, du salarié sur son lieu de travail, et finalement de l’ensemble des personnes dans l’espace public.
Et puis, le voile, qui semble constituer pour certains une préoccupation obsessionnelle, n’est pas le seul signe religieux ostentatoire que l’on puisse voir dans les services publics, sur les lieux de travail et dans la rue. Que faites-vous des autres signes ?
Mme Valérie Beauvais
Lesquels ?
M. Jean-Christophe Lagarde
Avec ces amendements, vous enclenchez un engrenage qui n’a pas de sens et qui donne raison à ceux qui veulent marquer religieusement la société, puisque vous leur permettez d’ouvrir des débats qui n’existent pas à l’heure actuelle.
Je ne comprends pas cette histoire du voile…
Mme Valérie Beauvais
C’est normal !
M. Jean-Christophe Lagarde
Pourquoi serait-ce normal, madame ? J’aimerais qu’on m’explique pour quelle raison il faudrait accorder plus d’attention au voile qu’à la tenue d’un homme affichant ses convictions de façon affirmée, voire militante – je pense au port d’une barbe, d’une djellaba ou d’un pantalon dont j’ai oublié le nom mais qui est, d’une certaine façon, un uniforme.
M. Belkhir Belhaddad
Un sarouel !
M. Jean-Christophe Lagarde
Si je comprends bien, vous estimez que des hommes peuvent se rendre à l’université ainsi vêtus, mais qu’une femme voilée n’en a pas le droit ?
Mme Annie Genevard
Non !
M. Jean-Christophe Lagarde
Excusez-moi : ce que je viens de décrire est un signe manifestement communautaire, mais pas un signe ostentatoire religieux, et vous auriez bien du mal à me prouver le contraire, puisqu’il n’existe aucun précepte en la matière.
Vous allez interdire à un membre de la communauté loubavitch d’aller étudier à l’université et vous allez ainsi contribuer à créer, comme on l’a d’ailleurs déjà fait, des universités privées religieuses. Il y a une certaine hypocrisie à ne pas reconnaître que, si on ne peut pas former des imams dans les universités publiques, on le fait à la Catho de Lille ! Vous allez donc créer des universités confessionnelles qui seront parfaitement légitimes. C’est d’ailleurs ce qu’il s’est passé dans les écoles catholiques immédiatement après la loi de 2004 : on a constaté l’arrivée de nombreuses personnes de confession musulmane ou hindoue.
Mme Marie-George Buffet
Exactement !
M. Jean-Christophe Lagarde
Il se trouve dans ma circonscription une école accueillant une majorité d’enfants sikhs : cela vient du fait que le voile des petites filles ayant été interdit à l’école publique, les jeunes hommes sikhs portant un turban s’en sont également vus exclus et ont donc dû aller dans des écoles catholiques ou des écoles privées créées spécialement pour eux. Il me semble qu’ouvrir un débat qui, partant d’un concept erroné, conduit à transgresser des principes anciens, nous fait prendre des risques importants.
Enfin, après avoir entendu la présidente Genevard évoquer les mouvements indigénistes et racialistes, je dois dire que je partage totalement le sentiment que nous devons combattre la dérive qui est en train de se produire. Cependant, cette dérive ne résulte pas d’une action menée au nom d’une religion : elle est née au nom d’un communautarisme ethnique et d’une idéologie politique qui doit se combattre par la politique. Sans doute faudrait-il que la loi s’applique avec beaucoup plus de rigueur. Pour ma part, je suis effaré qu’on débatte dans cet hémicycle du fait que des réunions puissent être interdites aux blancs ou à d’autres : d’un côté de l’hémicycle, on trouve scandaleux qu’il y ait des réunions interdites aux non-blancs, de l’autre côté qu’il y en ait d’interdites aux blancs… En réalité, il faut simplement appliquer la loi française, qui interdit toute forme de discrimination sans établir de hiérarchie entre les uns et les autres. C’est une discrimination d’interdire à une femme, à un blanc ou à un non-blanc d’entrer dans une réunion. C’est par la loi de la République que nous devons combattre toutes les idéologies politiques racistes, et non en procédant à des amalgames avec la religion, qui a peu, pour ne pas dire rien à voir avec ça. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI-I et sur quelques bancs du groupe LaREM.)
M. le président
Mes chers collègues, il est dix-neuf heures vingt et plusieurs d’entre vous souhaitent encore prendre la parole sur ces amendements. Pour la cohérence et la lisibilité de notre débat, il serait bon que nous terminions la discussion commune avant la fin de cette séance, c’est pourquoi j’en appelle à la responsabilité de chacun et je vous invite à vous exprimer de façon aussi concise que possible. En tout état de cause, nous ne pourrons prolonger cette séance au-delà de dix-neuf heures quarante-cinq.
La parole est à Mme Annie Genevard.
Mme Annie Genevard
Monsieur le président, je vous rappelle que nous sommes en temps législatif programmé, et que l’importance du sujet dont nous débattons justifie que chacun puisse s’exprimer comme il le souhaite.
Je constate que vous n’êtes pas à une contradiction près, mes chers collègues. Vous nous dites que le voile est interdit dans les établissements du secondaire, ce qui est normal, puisqu’on a affaire à des mineurs, et que les étudiants fréquentant l’université peuvent y porter ce qu’ils veulent, puisqu’ils sont majeurs. Dans ce cas, si je comprends bien, vous allez voter nos amendements interdisant le port de signes religieux par les mineurs ? En effet, les mineurs sont des individus en construction, qu’il faut protéger de toute absence de neutralité religieuse.
Plusieurs députés du groupe LaREM
Ça, c’est l’école !
Mme Annie Genevard
Il y a beaucoup d’angélisme dans vos interventions et, si vous relisez les débats de la loi de 2004, vous trouverez les mêmes arguments. On peut toujours invoquer une situation particulière. M. El Guerrab nous a parlé de sa maman et le ministre ne se prive pas d’évoquer régulièrement son grand-père, mais je pense que nous légiférons au-delà des situations personnelles et que notre ennemi n’est pas telle ou telle situation individuelle : notre ennemi, c’est le séparatisme militant. Il est là, le lien avec le voile : lorsqu’à l’université, on organise le « Hijab Day », on n’est pas dans l’expression libre d’une conviction religieuse, mais dans une démarche séparatiste et militante.
Je ne m’appesantirai pas sur la comparaison assez grotesque qui a été faite entre le voile islamique et le voile de mariage, qui ne mérite pas qu’on s’y attarde.
J’avais posé en commission la question consistant à savoir si la liberté religieuse est une liberté sans frein. Pour moi, la liberté académique doit être respectée. Les professeurs d’université s’émeuvent des mouvements qui traversent l’université, et je suis effarée du silence de la ministre de l’enseignement supérieur à ce sujet. L’université est malade et le Gouvernement reste silencieux sur ces questions, ce qui n’est pas admissible.
Quant à la confusion entre l’islam et l’islamisme, c’est vous qui la faites en nous prêtant des intentions malveillantes à l’égard de l’islam, alors que nous ne cessons de dire que notre cible n’est pas l’islam, mais la dérive idéologique de l’islamisme. C’est vous qui suscitez la confusion en nous faisant ce reproche, et ce n’est pas acceptable.
Enfin, j’aimerais que ceux qui parlent d’émancipation des femmes voilées m’expliquent en quoi le voile serait une marque d’émancipation. Je vous rappelle que cette préconisation ne figure pas dans le Coran, mais qu’elle a été imposée tardivement. Quand on voit des photos d’étudiantes à Kaboul dans les années 1970, cheveux au vent et jupes courtes, et qu’on les compare à la situation actuelle des femmes afghanes, il y a de quoi s’interroger sur la prétendue liberté que constituerait le voile ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LR.)
M. le président
La parole est à Mme Cécile Untermaier.
Mme Cécile Untermaier
Je voudrais d’abord souligner que la ministre de l’enseignement supérieur est restée très silencieuse sur un tout autre sujet que le voile, à savoir la situation extrêmement préoccupante des étudiants face au covid-19.
M. Pierre-Henri Dumont
Sur tout ce qui touche à l’université !
Mme Cécile Untermaier
Souscrivant à l’argumentation développée par Laurence Vichnievsky, notre groupe votera contre ces amendements. Je ne fais pas le procès de leurs auteurs, car notre assemblée est un lieu de débat, où toutes les positions doivent pouvoir s’exprimer. Pour ma part, je ne cherche pas à convaincre mes collègues et je suis satisfaite de voir qu’une grande partie des députés s’accorde à penser qu’il y a d’un côté l’usager et, de l’autre, la personne engagée dans une mission de service public.
On a évoqué la loi de 2004 et le dispositif dérogatoire se justifiant parce qu’il s’agit d’enfants, d’apprentissage et de personnes vulnérables. Ce n’est plus du tout le cas dans une université, et je trouve assez outrageant pour les universitaires que l’on puisse estimer qu’ils ne sont pas capables de maîtriser cette situation. C’est lorsqu’il y a des dérives – que nous n’acceptons pas plus que vous, car nous ne sommes ni dans l’angélisme, ni dans la volonté de couvrir des dérives – que nous devons agir, en faisant en sorte que les universités aient les moyens de résister à des pressions inacceptables provenant, le cas échéant, d’un islamisme radical que nous voulons combattre.
Enfin, n’oublions pas que l’université est le lieu de l’expression, de la liberté et de la connaissance. On ne peut pas prendre en otage des personnes désireuses d’étudier en les renvoyant à une origine, un comportement ou un habillement qu’on ne jugerait pas tolérables. La France, ce n’est pas cela. L’université, c’est l’ouverture à l’international, c’est la vocation à ouvrir les frontières et les esprits, et il me paraît contraire à ces principes d’envisager une interdiction du voile à l’université qui, de toute façon, ne résoudra pas le problème que vous cherchez à résoudre.
Si votre objectif est d’éviter les dérives, travaillons ensemble sur ces questions, mais laissons les étudiants libres, pour qu’ils viennent en confiance à l’université. S’ils sont musulmans et portent un voile, en quoi cela nous gêne-t-il ? En réalité, nous sommes en 2021, et vous posez la même question depuis 2004, suggérant que le problème est sans fin. À supposer que vous obteniez l’interdiction du voile à l’université, vous demanderiez ensuite son interdiction dans l’espace public, dans la rue, sur le trajet entre le domicile et l’université. Nous devons absolument rester raisonnables.
Avec ce texte, nous visons à nous rassembler autour des principes républicains ; nous voulons défendre à travers lui un langage commun nécessaire pour vivre ensemble dans la société. Nous ne pouvons pas en commencer la rédaction par une interdiction qui revient à attribuer une mauvaise note à une partie de la population. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC et sur quelques bancs du groupe LaREM. – MM. Stéphane Peu et M’jid El Guerrab applaudissent également.)
M. le président
La parole est à Mme Marie-George Buffet.
Mme Marie-George Buffet
J’ai envie de mettre en avant deux termes : « démocratisation » et « émancipation ». Il est vrai, et j’en suis particulièrement heureuse, que l’université est enfin à l’image de la population, de la nation française : la diversité des origines, des positions intellectuelles, des croyances religieuses des étudiants montre que l’université s’est démocratisée.
Ensuite, elle est un lieu d’émancipation. Chacun y arrive au bout d’un chemin d’enfance et d’adolescence ; devenu majeur, il va se confronter au débat d’idées, élaborer une critique des propos qu’on lui tient, une réflexion. Il faut préserver ce lieu d’émancipation pour tout le monde ; il ne faut pas exclure certains du travail d’émancipation à cause d’un habillement religieux, et leur dire qu’ils n’en seront pas. Au contraire, faisons en sorte qu’ils se trouvent au cœur de ce travail, là où s’exerce l’esprit critique.
Madame Genevard, l’entrave à la liberté académique est bien sûr intolérable, l’opposition à la représentation d’une œuvre culturelle est bien sûr intolérable, les réunions « racisées » sont bien sûr intolérables. Vous les dénoncez avec beaucoup de justesse, mais quel rapport avec votre amendement ? (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR, SOC et FI ainsi que sur plusieurs bancs du groupe LaREM.)
M. le président
La parole est à M. Jean-Luc Mélenchon.
M. Jean-Luc Mélenchon
J’ai le privilège de l’âge, mais je suis bien espanté de ce que j’ai entendu. Il y a une génération de cela, on dénonçait le règne des marxistes et des communistes à l’université, et on s’en faisait des représentations terribles. Je ne me souviens pas qu’on ait interdit quoi que ce soit, et je me demande dans quelle mesure cela n’a pas défavorisé notre opinion. Aujourd’hui, je chercherais à la lanterne les marxistes à l’université, (Exclamations sur quelques bancs du groupe LR) et j’aurais beaucoup de peine à en trouver. C’est comme ça ! Au fond, nous avons perdu, et vous avez gagné. Comment cela est-il arrivé ? Le poids de la vie, les circonstances, la logique des échanges et des rapports sociaux ont finalement organisé les choses différemment.
Je voudrais me rendre utile au débat en apportant quelques précisions, sans lesquelles, comme l’a dit Marie-George Buffet, on ne comprend pas le rapport entre les concepts que vous dénoncez et vos amendements ; sans lesquelles surtout on pourrait croire qu’il existe des théories de l’indigénisme, de la racialisation et de l’intersectionnalité, qui toutes menaceraient l’équilibre de nos institutions, comme hier on parlait d’une théorie du genre.
D’abord, les idées sont des idées. Ensuite, il n’y a jamais eu de théorie du genre ; il y a en sociologie, en art, dans d’autres domaines encore, des outils qui servent à expliquer que le genre est une construction culturelle. Les universitaires remplissent donc normalement leur rôle en s’interrogeant sur la manière dont ces archétypes sont produits. De même, les craintes liées à l’intersectionnalisme me font bien rire, car il ne s’agit que d’analyser comment différentes formes de discrimination peuvent s’additionner. Cela nécessite de les identifier, de les analyser et d’expliquer le mécanisme de leur combinaison. Il s’agit d’un travail intellectuel, qui ne date pas d’aujourd’hui : lisez Frantz Fanon et vous en apprendrez beaucoup sur les mécanismes d’empilement ! Mais oui ! De la même manière, l’étude de la racisation consiste à dénoncer la construction, fondée sur des archétypes racistes, des discriminations et des assignations identitaires : un tel aurait le rythme dans la peau, un autre je ne sais quoi, vous connaissez tout cela aussi bien que moi. L’intersectionnalité est un concept permettant d’analyser comment les discriminations s’additionnent et de repérer les parties de la population pour lesquelles elles s’accumulent dramatiquement – en général des femmes, comme toujours.
M. Boris Vallaud
Vous avez raison !
M. Jean-Luc Mélenchon
De la même manière, l’indigénisme est un mouvement politique visant à définir la place singulière que les indigènes occupent dans des sociétés auxquelles ils ne reconnaissent aucun droit, et qui elles-mêmes considèrent que leurs coutumes sont absolument étrangères au droit positif. Combiner ces deux représentations constitue un véritable défi dans toute l’Amérique latine, où un débat se déroule, mais pas en France, puisqu’il n’y a pas d’indigènes.
M. François Cormier-Bouligeon
Enfin, il assume !
M. Jean-Luc Mélenchon
Collègue, arrêtez de hurler, j’essaye d’expliquer ! Vous prendrez la parole ensuite, mais respectez mon intervention, j’expose des arguments. Ainsi, les indigénistes considèrent qu’il y a des indigènes en France, idée que pour ma part je combats, parce qu’elle est absurde et qu’elle nous ferait reculer. Dans tous les domaines que je viens d’évoquer, il s’agit d’une bataille d’idées !
Je comprends parfaitement qu’on ne supporte pas le voile, mais là n’est pas la question : il s’agit de savoir comment la loi peut distinguer ce qui relève du droit le plus intime à la liberté de conscience et à la foi, du droit commun, tout en garantissant cette même liberté de conscience. Je crois que nous sommes dorénavant immensément majoritaires dans cet hémicycle à distinguer ceux qui font fonctionner le service public de ses usagers. Les premiers ne doivent aucunement, par leur habillement ou leur comportement, et j’insiste sur l’importance du comportement, envoyer aux seconds des signes qui les humilient. En effet, toute religion est pour l’autre une hérésie, aussi les plus fondamentalement croyants n’ont-ils nullement l’intention de montrer qu’ils se soumettent à quelqu’un. Où irons-nous si vous supprimez la frontière qui sépare les agents des usagers ? En passant d’une idée à l’autre, et à l’autre, nous interdirons tout. Vous excipez des femmes obligées de porter un voile dans certains pays, et qui encourent la prison si elles ne le mettent pas. Vous avez mille fois raison de dénoncer leur situation.
M. Pacôme Rupin
Eh oui !
M. Jean-Luc Mélenchon
Mais nous voulons précisément faire le contraire : ne mettre personne en prison en raison de son habillement et laisser à chacun la liberté de se vêtir à sa manière. Si une façon de s’habiller suscite la contrariété, il faut militer ; il revient aux militants d’expliquer et d’emporter l’adhésion, non d’imposer par la contrainte. En effet, porter un voile sur la tête n’a jamais agressé personne.
M. François Cormier-Bouligeon
Vous avez bien changé ! Il y a dix ans, vous disiez le contraire.
M. Jean-Luc Mélenchon
Dans le domaine de la religion, la loi n’interdit que les pratiques qui portent atteinte par exemple aux individus ; la loi ne peut punir que des actes, pas des opinions. La seule opinion condamnable dans notre pays est le racisme, et nous déclarons qu’il ne s’agit pas d’une opinion. J’espère avoir contribué à éclairer des termes dont l’usage pourrait sinon prêter à confusion.
Concernant le voile, je pense qu’il est tout à fait légitime qu’un collègue cite en exemple une situation qu’il connaît de près. Bien sûr, la loi ne traite pas d’une addition de cas particuliers, mais nous nous estimons assez, madame Genevard, pour savoir que vous ne resterez pas indifférente en apprenant que des millions de gens se sentent humiliés par le fait d’être ainsi visés. Pour ma part, je n’aurais jamais demandé à ma grand-mère de ne pas mettre le voile qu’elle portait sur la tête, parce qu’à cette époque-là, une femme en cheveux, c’était mal vu.
M. François Cormier-Bouligeon
C’est pitoyable !
M. Jean-Luc Mélenchon
Cela peut évidemment prêter à sourire aujourd’hui, mais je n’aurais pas eu le front d’aller lui dire d’enlever ça pour être libérée, et je ne sais quoi.
Je ne vous dirai pas que vous avez tort ! Hier, Mme Ménard a dit qu’elle connaissait assez bien la religion catholique pour pouvoir en parler ; je n’en disconviens pas, puisque dans sa mairie, ils installent même des crèches, ce qui est un signe de laïcité assez évident pour tous ceux qui passent par là. Mais enfin, pourquoi pas ? Cependant, madame, la religion catholique est la seule dans laquelle un père fondateur, saint Paul, dit que la femme doit se voiler pour marquer sa soumission à l’homme.
Mme Emmanuelle Ménard
Mais non !
M. Jean-Luc Mélenchon
Tertullien, qui est le plus grand promoteur de la doctrine de la Trinité, dit que ne pas se voiler, c’est se prostituer. Heureusement, l’Église n’en est plus là !
Mme Valérie Beauvais
Merci de le souligner !
M. Jean-Luc Mélenchon
Néanmoins, je vous mets au défi de trouver un seul tableau dans lequel la mère du Christ et celles qui l’entourent sont représentées sans un voile sur la tête. Alors, de grâce, évitons-nous d’absurdes guerres de religion ! L’Église catholique a évolué. En parlant d’évolution, dans mon jeune temps, les anticléricaux comme moi allaient narguer celles ou ceux qui portaient l’habit ou la soutane ; je ne le fais plus, ce qui contrarie parfois certains camarades. Je n’en ai plus envie depuis que j’ai vu des hommes et des femmes en habit ecclésiastique mourir avec les miens, en Argentine ou dans d’autres pays d’Amérique latine. Je n’ai plus envie de rire d’eux, et je salue leur martyre dans la lutte aux côtés du peuple.
M. François Cormier-Bouligeon
Mais bien sûr !
M. Jean-Luc Mélenchon
Ainsi, il faut faire la part des choses. Cela consiste à se fonder sur une certaine tendresse pour la vie et à admettre qu’il y a, bien sûr, des militants. Comme la France a changé, mon Dieu ! L’expression que j’emploie en témoigne. Avant Pâques, l’an dernier, j’étais au bistrot avec le patron, un bon musulman. C’était un vendredi, et nous avons vu descendre dans la rue des types avec des chaussettes remontées jusqu’aux genoux – c’étaient des salafistes. Nous étions bras ballants à nous exclamer : « Ah là là, quelle comédie ! », quand est passé dans l’autre sens un cortège portant une croix – des évangélistes ! La France a changé, c’est certain. Réglerons-nous les problèmes de cet ordre par la brutalité ? Non ! Qu’il y ait une volonté de l’islamisme politique de subvertir les institutions, c’est bien sûr vrai, mais la question est de savoir comment combattre ses partisans. Il s’agit de ne pas leur offrir la victoire en en faisant les représentants de tous ceux qui croient, en agissant comme si tous les croyants étaient des suppôts de l’islamisme. C’est absurde, les trois quarts des gens concernés s’en défendraient.
J’ajoute qu’une telle allégation est parfois difficile à avaler…
M. Philippe Benassaya
Eh oui !
M. Jean-Luc Mélenchon
…quand on se souvient des solidarités mutuelles qui se sont révélées lorsque les nôtres se battaient contre les islamistes, que ce soit en Algérie ou en Tunisie. Ceux qui ont été tués l’ont été par les islamistes politiques, c’étaient souvent des nôtres, et qui se sentaient bien seuls. Je n’en fais le reproche à personne, mais je demande qu’à l’inverse, on ait l’honnêteté de ne pas transformer en suppôts de causes qu’ils ont toujours combattues, des gens qui, comme moi, comme d’autres sur d’autres bancs, plaident pour la paix civile. En effet, le véritable objectif est de maintenir la paix civile dans ce pays. Tant qu’on est vivant, tant qu’on se parle, qu’on se dispute, il y a un espoir pour la République ; s’il ne reste plus que la prison et la police, c’est fini. (Applaudissements sur les bancs des groupes FI, SOC et GDR.)
M. le président
La parole est à M. Éric Ciotti.
M. Éric Ciotti
Nous assistons ce soir à un beau débat, dont les arguments sont recevables. Certains font appel à des expériences personnelles, je les entends. Il porte sur un point incontestablement essentiel, nos échanges le prouvent, et c’est à l’honneur de notre assemblée d’en délibérer. Si l’un des amendements en discussion était adopté, cela entraînerait une rupture majeure, identique à celle provoquée par la loi de 2004, qui constitue pour nous une référence, puisqu’elle permit la plus grande avancée depuis 1905. Il est presque certain que ce ne sera pas le cas ce soir, néanmoins j’estime que ce débat mérite l’éclairage du Gouvernement. Je suis étonné que le ministre de l’intérieur n’ait pas donné d’avis sur ces amendements avant de quitter l’hémicycle.
M. Florent Boudié, rapporteur général
Il l’a donné !
M. Éric Ciotti
Vous l’avez remplacé, madame la ministre déléguée chargée de la citoyenneté, et j’espère que vous émettrez un avis ; c’est votre devoir. Comment le Gouvernement n’aurait-il pas d’avis sur un sujet aussi essentiel ? Comment vous personnellement, qui êtes tellement associée au combat pour l’égalité entre les hommes et les femmes, n’auriez-vous pas d’avis sur ce débat concernant le voile, lequel participe à une forme d’asservissement ? Je reprends le mot du garde des sceaux, même s’il me semble que Mme Rihlac a contesté tant le fait que je défende mes arguments, que celui que je cite le ministre de la justice.
Je le citerai à nouveau, s’exprimant dans le cadre de ses fonctions actuelles, ainsi que le ministre de l’intérieur lorsqu’il était parlementaire.
Le garde des sceaux a ainsi très clairement indiqué, en commission spéciale, que le voile pouvait être « un choix ». M. El Guerrab et M. Ahamada l’ont également dit. C’est vrai. Mais le garde des sceaux ajoute que le voile peut être « un asservissement », et c’est cela qui fait débat et qui pose problème. Mes chers collègues, pouvons-nous tolérer « un asservissement » dans notre démocratie ? C’est la question fondamentale qui est posée.
Qu’est-ce que le voile aujourd’hui ? Je citerai trois personnes. En 1989, Cheikh Haddam, recteur de la grande mosquée de Paris, répondait ainsi à la presse lors de « l’affaire des foulards » du collège de Creil : « Le Coran est clair : il recommande à la femme musulmane de se couvrir pour éviter toute forme de séduction. »
En juin 2016, sur une radio périphérique, Gérald Darmanin indiquait : « Je pense que les femmes qui portent […] des vêtements très amples qui laissent juste le visage, ce n’est plus tout à fait acceptable dans la République. »
Le 13 avril 2016, dans une interview à Libération, Manuel Valls, qui a siégé dans vos rangs, mes chers collègues de la majorité, et qui a été un grand Premier ministre républicain – je le dis à Francis Chouat – tenait les propos suivants : « […] ce voile identitaire, politique, revendiqué comme tel, en cachant la femme, vise à la nier. Comment ignorer que les femmes subissent dans les quartiers populaires une pression culturelle faite de sexisme et de machisme ? »
Enfin, je reviens à l’université avec une dernière citation. À ce propos, je rappelle que, sur le fond et d’un point de vue juridique, notre amendement a pour objet un service public et a donc été déclaré recevable par la séance. Je le dis au président Lagarde : je suis favorable à ce que les usagers du service public soient astreints, comme les agents, à la neutralité, non pas dans l’espace public, mais dans les services publics. Nous défendrons des amendements en ce sens. Ce serait une évolution.
Enfin, disais-je, en 2013, de même que vous nous faisiez part de votre propre malaise devant vos étudiants, monsieur Euzet, la mission laïcité du Haut Conseil à l’intégration s’inquiétait du fait qu’à l’université « un nombre croissant d’enseignants éprouve devant des étudiants arborant ostensiblement des signes d’appartenance religieuse qui apparaissent comme autant de symptômes de la montée de revendications identitaires et communautaristes, de fermeture, voire d’ostracisme, de refus de certains savoirs ». Tel est bien le problème, ne le niez pas.
Vous évoquez la liberté, mais nous sommes tous attachés à la liberté ! J’en appelle, pour ma part, à la liberté de ceux qui ne portent pas le voile à l’université. Eux aussi sont choqués de se voir imposer une appartenance religieuse. Et je précise que je ne vise pas qu’un seul signe religieux, mais, naturellement, tous les signes religieux.
Mes chers collègues, en conscience, et il ne s’agit pas d’une question juridique : existe-t-il encore beaucoup d’étudiants juifs qui peuvent porter la kippa dans les amphithéâtres de certaines universités ? Non. Ils ont été évincés du port de ce signe religieux, par la peur, par la force, et par la pression du prosélytisme.
M. Éric Coquerel
C’est faux ! Arrêtez d’agiter des fantasmes !
M. Éric Ciotti
Telle est la réalité, et nous devons aussi penser à leur liberté ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LR. – Mme Emmanuelle Ménard applaudit également.)
M. le président
Merci, monsieur Ciotti. Vous avez dit que le Gouvernement n’avait pas d’avis à donner sur votre amendement. Il en a un et il vous l’a donné : défavorable.
M. Frédéric Reiss
C’est un peu léger !
Mme Constance Le Grip
C’était un peu court !
M. le président
La parole est à Mme Anne-Christine Lang.
Mme Anne-Christine Lang
Cette question qui infuse dans le débat public depuis longtemps, tout comme celui des accompagnatrices voilées dont nous discuterons ultérieurement, ne me semble pas être illégitime. Beaucoup d’entre nous pensent comme moi qu’il est normal que l’Assemblée en débatte.
Les mêmes protagonistes animent des débats que nous avons déjà eus : d’un côté, ceux qui voient dans le moindre centimètre de voile un continuum presque automatique avec le séparatisme, voire avec le terrorisme, et, de l’autre, ceux qui, dans une confondante naïveté, une forme de déni inexplicable, nient l’existence du séparatisme au sein de l’université et refusent d’admettre que les signes religieux rigoristes témoignent bien évidemment de l’entrisme de l’islam radical à l’université. (Applaudissements sur plusieurs bancs LR. – Mme Alexandra Valetta Ardisson et Mme Stéphanie Rist applaudissent également.)
Les deux points de vue sont bien sûr valables, si l’on écoute des arguments développés à droite comme à gauche. Évidemment, certaines femmes portent le voile à l’université comme dans l’espace public, parce que c’est leur choix. Elles ne prétendent convaincre personne et il n’y a dans leur démarche aucune forme de prosélytisme. Elle exerce la liberté que leur confère la loi : elles sont totalement libres de manifester et d’exprimer leur opinion, même religieuse, et de se vêtir comme elles le souhaitent. Cependant le voile peut aussi être une revendication islamiste. C’est pourquoi je pense que ce débat, quelque peu stérile, entre ceux qui nient et ceux qui exagèrent, est un peu vain.
On peut déplorer la prolifération des signes religieux dans l’espace public et la progression du port du voile islamiste, ce qui est mon cas, comme, sans doute, celui des 61 % de Français qui déclarent n’appartenir à aucune religion. On a le droit de dire que le voile ne correspond pas vraiment à l’idée que l’on se fait des relations entre les femmes et les hommes.
Faut-il pour autant légiférer sur le voile à l’université ? Franchement, je ne le pense pas, car notre conception de la laïcité ne consiste pas à interdire aux personnes adultes de manifester la liberté que leur confère la loi. Un autre combat est, selon moi, encore plus urgent et fondamental : celui de la défense de l’universalisme républicain à l’université, contre les coups de boutoir qui lui sont portés, celui de la défense de l’héritage des Lumières contre des théories qui ne sont pas anecdotiques, monsieur Mélenchon. Si, pour notre part, nous respectons le débat que nourrissent les thèses indigénistes et l’intersectionnalité, le problème vient du fait que les partisans de ces théories excluent eux-mêmes tous les autres débats. Il nous faut donc combattre leur intolérance et une forme de totalitarisme intellectuel, et défendre, à l’université, la liberté du débat et de la controverse ainsi que la liberté philosophique, au nom de l’histoire de notre pays.
Quoi que l’on puisse en penser, sans naïveté, sans hystérie, le débat sur le voile ne me semble pas être absolument essentiel. C’est la raison pour laquelle, à titre personnel, je ne voterai pas pour ces amendements. D’autres questions sont plus urgentes et elles sont l’affaire de tous ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.)
M. le président
La parole est à M. Sébastien Huyghe.
M. Sébastien Huyghe
Les argumentaires opposés à nos amendements me rappellent ceux de 2004 sur le voile intégral. Force est de constater qu’aujourd’hui personne ne souhaite revenir sur les textes de l’époque. Je ne désespère donc pas que, dans un futur que j’espère proche, vous penchiez dans le sens de ces amendements et de l’interdiction des signes religieux à l’université.
Je réponds à Mme la rapporteure, que j’ai écoutée avec beaucoup d’attention et qui a dit que l’interdiction des signes religieux à l’école visait à éviter l’affrontement religieux. Cela signifie-t-il que cet affrontement religieux, dont nous ne voulons pas dans les écoles, dans les collèges et les lycées, peut avoir lieu à l’université ? Nous ne le pensons pas. L’université doit être un lieu d’apaisement, où chacun peut suivre des enseignements en toute liberté et dans la sérénité.
Au sein de notre formation politique – l’UMP puis Les Républicains –, nous avons beaucoup travaillé sur les différents textes relatifs au voile, que ce soit au sein de groupes de travail ou en organisant des auditions. Je garde en mémoire ce témoignage du maire d’une ville de la banlieue parisienne, qui relatait avoir organisé une visite de l’Assemblée nationale pour une association de quartier. Il accompagnait au départ de sa commune ce déplacement auquel n’assistaient que des femmes : dès que le car a quitté le périmètre non pas de la ville mais du quartier, nous a-t-il raconté, un nombre impressionnant d’entre elles avait retiré le voile, preuve que, pour certaines, c’est bien la pression sociale et religieuse qui imposait de le porter. Ne caricaturez pas mon propos, ce n’est pas le cas de toutes les femmes qui portent le voile !
Comme nous l’avons dit en 2004 puis, en 2010, à l’occasion du débat sur le projet de loi interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public, l’interdiction contribue à rendre leur liberté à un grand nombre de femmes. Ces amendements permettent précisément d’offrir aux femmes la liberté de pouvoir s’habiller comme elles le souhaitent. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LR.)
M. le président
La parole est à M. Philippe Vigier.
M. Philippe Vigier
Il s’agit de savoir si, oui ou non, nous sommes encore dans une République laïque. Derrière le mot « laïcité », il y a la question de la pratique religieuse, du fait de croire ou de ne pas croire. Il y a aussi la possibilité du choix que font des femmes émancipées, lorsqu’elles sont majeures – et les étudiants le sont, dans leur immense majorité. C’est la raison pour laquelle le groupe Dem ne votera pas en faveur des amendements déposés pour la plupart par des membres du groupe LR.
La question qu’il faut se poser est donc celle de la liberté : les personnes portant ces signes liés à une religion ont-elles la liberté de le faire ou de ne pas le faire ? Ne pensez-vous pas, et je diverge sur ce point avec les collègues du groupe LR, que si on leur interdit le port du voile, cela installera une forme de victimisation ?
Nous souhaitons pourtant rappeler les principes républicains d’insertion et d’intégration, ceux du débat politique qu’a évoqué M. Lagarde, puisque les universités sont le lieu où naissent les idées à caractère philosophique et où se tient la contradiction politique, où se forme le caractère pour affronter la vie.
Interdire ces signes, en particulier le port du voile, serait un signal totalement contre-productif pour ces femmes qui ont surmonté des épreuves pour entrer à l’université et qui ont fait un choix, qui est, comme l’a très bien dit Marie-George Buffet, celui de l’émancipation.
Nous ne sommes donc pas du tout dans la sphère de la loi de 2004. Nous risquerions, à l’opposé, de faire le chemin contraire. Parce que je ne veux pas davantage de séparatisme, mais davantage d’intégration, je souhaite qu’on laisse à ces femmes la possibilité qu’elles ont aujourd’hui, parce qu’elles sont adultes, parce qu’il s’agit de la voie de leur émancipation et de leur capacité à choisir la liberté d’expression qui est la leur. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM.)
M. le président
Je crois que notre assemblée est suffisamment éclairée sur les amendements en discussion commune que nous allons pouvoir mettre aux voix. Je rappelle que deux d’entre eux font l’objet d’un scrutin public.
(L’amendement no 1645 n’est pas adopté.)
M. le président
Je mets aux voix l’amendement no 1613.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 202
Nombre de suffrages exprimés 196
Majorité absolue 99
Pour l’adoption 29
Contre 167
(L’amendement no 1613 n’est pas adopté.)
M. le président
Je mets aux voix l’amendement no 20.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 203
Nombre de suffrages exprimés 199
Majorité absolue 100
Pour l’adoption 31
Contre 168
(L’amendement no 20 n’est pas adopté.)
(Les amendements nos 203, 878 et 1152, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.)
M. le président
La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
2. Ordre du jour de la prochaine séance
M. le président
Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures quinze :
Suite de la discussion du projet de loi confortant le respect des principes de la République.
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt heures.)
Le Directeur du service du compte rendu de la séance
de l’Assemblée nationale
Serge Ezdra